Imaginez que par un mercredi après-midi ensoleillé, après une matinée de travail très chargée, des parents emmènent leurs enfants faire une excursion au lac ou que des sportifs décident de courir deux heures, en échange de quoi ils reporteront leur travail en soirée. Cette libre organisation des activités de l’existence semble séduisante, mais elle est hélas trop belle pour être autorisée. Pourquoi? A cause de la réglementation du travail fixée par la loi suisse, qui précise que les employés doivent fournir leurs tâches quotidiennes dans un cadre temporel de 14 heures. Cette rigidité n’est qu’un exemple de la difficulté qu’ont les employeurs à mettre à profit la flexibilité du travail sur la base de la législation actuelle.
La loi sur le travail en vigueur remonte pour l’essentiel à 1964, une époque où l’économie suisse était en grande partie dominée par l’industrie. Elle était dès lors fortement axée sur la protection des travailleurs en usine – pointage le matin, pointage le soir. Or aujourd’hui, une grande partie des employés ne travaillent plus en usine, mais dans les services. Et les méthodes de travail ont également changé: les employés ne travaillent pas seulement indépendamment du lieu, mais aussi de manière plus flexible et autonome. Voilà pourquoi les horaires de travail classiques, de type «neuf à cinq», ne sont plus guère adaptés: la loi sur le travail ne tient plus convenablement compte de la réalité du travail telle qu’elle est vécue aujourd’hui.
L’étude internationale sur le marché du travail «Global Talent Study» de 2021 montre bien, par exemple, toute l’importance que revêt à présent pour les travailleurs une plus grande souplesse. Selon cette étude, plus de huit employés suisses sur dix souhaitent des horaires de travail au moins partiellement flexibles. Selon l’étude, ce besoin est «particulièrement prononcé en Suisse par rapport à la moyenne mondiale». La tendance à des formes de travail plus flexibles a été accentuée notamment par la pandémie et l’obligation corrélative du travail à domicile. De plus, la compatibilité vie professionnelle – vie privée revêt aujourd’hui une importance bien plus grande qu’auparavant. La loi actuelle sur le travail contrarie en partie ce besoin.
Le droit du travail ne peut plus pleinement rendre justice à la réalité du travail d’aujourd’hui.
On objecte volontiers à la flexibilisation des horaires de travail qu’elle pourrait soumettre les travailleurs à une pression les obligeant à travailler plus longtemps et à être joignables à tout moment. Souvent même, on entend dire que la loi protège ainsi les travailleurs d’eux-mêmes. Cette argumentation est inconvenante à bien des égards. Travailler de manière flexible ne signifie pas travailler plus, mais avoir simplement plus de liberté pour décider où et quand travailler et quand faire une pause.
Les pauses obligatoires et la durée maximale de travail hebdomadaire empêchent déjà de travailler trop longtemps. Une enquête de l‘OFS souligne que le temps de travail annuel par personne active n’a pas augmenté sur ces dix dernières années, mais qu’il a, au contraire, nettement diminué. De même, plus de flexibilité ne veut pas dire que les travailleurs doivent être joignables 24 heures sur 24, ce qui déjà n’est pas le cas avec la loi actuelle sur le travail. Enfin, travailler dans un cadre souple ne signifie pas non plus travailler sans protection. Aujourd’hui, les employeurs sont tenus, au titre de l’obligation légale d’assistance, de veiller à protéger la santé de leurs employés. Ipso facto, ils doivent prendre des mesures pour que la charge de travail ne soit pas trop forte. La flexibilisation du temps de travail ne change rien à cette obligation. Car il n’est pas dans l’intérêt de l’employeur que ses employés se surmènent, puisqu’il devrait alors s’accommoder d’éventuelles absences au travail.
Aucun travailleur ne doit pouvoir être contraint à une gestion plus flexible de ses horaires de travail. Celle-ci doit plutôt s’établir sur la confiance et d’un commun accord entre l’employeur et l’employé, afin de répondre aux besoins des deux parties. A l’avenir également, les horaires de travail flexibles ne seront possibles que dans certaines professions – sans être non plus souhaités par tous les travailleurs. Mais le fait est que le désir d’une plus grande flexibilité dans l’organisation du temps de travail est bien réel aujourd’hui et qu’il continuera de se renforcer.
Il faut tenir compte de cette évolution. Avec des horaires de travail plus flexibles, les entreprises pourraient notamment accroître leur attractivité en améliorant sensiblement l’articulation famille-travail. L’assouplissement des horaires de travail peut également contribuer à atténuer la pénurie de main-d’œuvre. Celle-ci devient en effet de plus en plus douloureuse: en juin 2022, selon l’Office fédéral de la statistique, il y a eu pour la première fois plus de 100’000 postes vacants en Suisse. Dans la recherche de remèdes possibles, la mise en valeur du potentiel de main-d’œuvre indigène est au cœur de toutes les attentions. Pour en tirer encore un meilleur parti, il appartient aussi aux employeurs de rendre le travail le plus attrayant possible. Des horaires de travail plus flexibles permettant aux personnels de mieux concilier vie professionnelle et vie privée peuvent jouer un rôle décisif en facilitant l’entrée sur le marché du travail ou l’augmentation du taux d’occupation. Les employeurs ne peuvent et ne veulent plus se permettre de laisser des personnes actives à l’écart du marché du travail à cause de dispositions légales rigides.