Ne privilégions pas que le travail à plein temps

8 décembre 2023 Opinions
Par Simon Wey

Avantager fiscalement le travail à plein temps comporterait certes quelques incitations à travailler davantage mais serait lourd de conséquences pour le système d’imposition. Il existe en même temps des mesures de nature fiscale nettement plus efficaces pour encourager à travailler davantage.

Nous manquons de personnel à tous les niveaux. Face à l’urgence de la pénurie de main-d’œuvre, c’est une bonne nouvelle que la politique réfléchisse de plus en plus à une meilleure exploitation du potentiel de main-d’œuvre intérieur au pays. Récemment, il a ainsi beaucoup été question d’aménagements fiscaux visant à augmenter les incitations à travailler plus. La déduction fiscale pour les personnes travaillant à plein temps a fait couler beaucoup d’encre.

Cette mesure reste inaboutie

Personne ne contestera que la déduction fiscale pour le travail à plein temps créerait des incitations à travailler davantage mais le prix à payer serait élevé et le système fiscal en subirait de graves distorsions. Cette mesure aurait en effet un impact très néfaste sur les revenus fiscaux, notamment parce que même les personnes qui travaillent déjà à plein temps seraient fiscalement avantagées, pas seulement celles qui passent du temps partiel au plein temps.

En outre, avantager fiscalement le travail à plein temps induirait forcément des distorsions indésirables et problématiques. Pourquoi avantager fiscalement le passage d’une activité de 80 à 100 pour cent, mais pas le passage de 60 à 80 pour cent? C’est le supplément de travail qui compte pour l’employeur et celui-ci est le même dans les deux cas de figure. La charge fiscale serait également tributaire de la répartition intrafamiliale des activités. Une famille dans laquelle une personne travaille à 100 pour cent et l’autre à 40 pour cent serait fiscalement avantagée alors que la charge fiscale pour une famille avec une répartition à 80 et 60 pour cent resterait inchangée. Cela serait injustifiable car cela rimerait en définitive à se mêler de la décision intrafamiliale de la répartition des activités. Selon la pensée libérale, ce genre d’ingérence est à proscrire.

A l’examen des chiffres du marché du travail, on constate que près de six femmes sur dix travaillent à temps partiel. 40 pour cent d’entre elle travaillent à un petit taux d’occupation inférieur à 50 pour cent. La littérature scientifique nous enseigne que les femmes travaillant à un petit taux d’occupation répondent plus fortement aux incitations à travailler plus que celles dont les taux d’occupation sont déjà élevés. Or les incitations fiscales pour les travailleuses et travailleurs à plein temps s’adressent avant tout aux femmes dont les taux d’occupation sont déjà élevés aujourd’hui. Ce type de mesure ne parait donc guère efficace. Les mesures qui incitent aussi les femmes à petits taux d’occupation à participer davantage au marché du travail sont bien plus prometteuses.

Des mesures plus efficaces sont sur la table

Des mesures de nature fiscale incitant à augmenter son taux d’activité existent bien sûr mais il est primordial que ces incitations soient indépendantes du taux d’occupation actuel. L’introduction d’une imposition individuelle éliminerait par exemple la discrimination obsolète des conjoints réalisant le revenu secondaire par rapport à ceux réalisant le revenu principal, quel que soit le taux d’occupation. Selon certaines estimations cette démarche permettrait de récupérer jusqu’à 60’000 travailleuses et travailleurs en équivalents à plein temps.

Il faut toujours garder à l’esprit, dans ce contexte, que le système fiscal actuel remonte à une époque où la quasi-totalité des actifs travaillaient à plein temps et que les familles dépendaient généralement d’un revenu unique quasi exclusivement réalisé par les hommes. La réalité est bien différente aujourd’hui. Il est par conséquent grand temps d’adapter le système fiscal pour tenir compte de la forte hausse de la proportion de travailleuses et travailleurs à temps partiel. L’accent est mis sur la progressivité: en fonction du contexte, réduire son taux d’occupation peut s’avérer rationnel. En cas de réduction du taux d’occupation, la charge fiscale baisse en effet de façon disproportionnée tandis que les revenus baissent de façon linéaire avec la réduction du taux d’occupation.

Le travail à temps partiel est pleinement justifié. Des entreprises du commerce de détail et d’autres secteurs comptent pouvoir ainsi recruter du personnel à temps partiel. Le travail à temps partiel permet aussi à beaucoup de femmes de revenir sur le marché du travail. La question de savoir comment créer les incitations dans le système fiscal actuel pour qu’il soit plus rentable de travailler davantage qu’aujourd’hui se pose néanmoins. L’introduction d’une imposition individuelle est une mesure importante déjà reconnue par la politique. Une révision du système fiscal actuel devrait également être étudiée. Nous devons surtout améliorer les conditions cadres de manière à de ne pas dissuader les personnes manifestement désireuses de travailler davantage par des obstacles inutiles. Cela suppose par exemple de créer davantage d’offres d’accueil extrafamilial des enfants à un coût abordable ou de plus fortes incitations à travailler au-delà de l’âge normal de la retraite, pour citer quelques mesures importantes.