En se fondant sur une analyse bancale et sous un titre exagérément racoleur, l’édition dominicale NZZ am Sonntag suggérait récemment qu’il n’existait aucun lien positif entre les subventions aux crèches et l’activité professionnelle des mères. Or cet article a largement négligé la complexité et la multitude d’études à ce sujet. Il a également omis de mentionner que la plupart les différentes études nationales établissaient un lien favorable. Le contexte suisse en termes de compatibilité entre vie familiale et vie professionnelle est décrit avec une grande pertinence dans le rapport Unicef datant de 2021. La Suisse y est lanterne rouge des États de l’OCDE et de l’UE pour l’accueil abordable et de qualité des enfants avec des pays comme la Slovaquie, les États-Unis, Chypre et l’Australie. C’est une des principales raisons pour lesquelles huit mères sur dix travaillent à temps partiel, et trois sur dix même à moins de 50 pour cent. En Suisse, les femmes sont a fortiori au moins aussi bien formées que leurs pendants masculins. En quoi est-ce économiquement judicieux de pousser ces précieuses travailleuses hors du marché du travail après la naissance du premier enfant dans un contexte défavorable alors que la pénurie de main-d’œuvre est plus que jamais criante? La réponse à cette question coule de source.
Le 1er mars 2023, le Parlement examinera un projet qui prévoit entre autres de réduire les coûts pour les parents de l’accueil extrafamilial des enfants en recourant à une aide fédérale. La question déterminante sera de savoir si davantage de subventions pour les offres d’accueil extrafamilial seront favorables à l’activité professionnelle des mères. Il suffit d’une recherche non exhaustive dans la littérature scientifique pour rapidement se rendre compte que ce sujet de recherche a beaucoup attiré l’attention ces dernières années. L’étude du professeur Josef Zweimüller et de ses coauteurs citée par NZZ am Sonntag n’en est pourtant qu’une parmi d’autres mais une des rares qui ne décèle qu’un lien faiblement positif. Elle n’est encore publiée dans aucune revue spécialisée à ce jour, contrairement à l’étude de Christina Felfe, de Michael Lehner et de Petra Thielmann qui établit un lien favorable pour la Suisse. Ainsi, grâce à la mise en place d’offres d’accueil périscolaires qui prennent le relais après le temps d’école quotidien, les mères sont sensiblement plus nombreuses à travailler à plein temps plutôt qu’à temps partiel. Une récente étude réalisée pour le canton et la ville de Neuchâtel par Claude Jeanrenaud de l’université de Neuchâtel avec l’économiste Julia Macugia a aussi établi qu’une augmentation de l’offre d’accueil extrafamilial d’un pour cent se traduisait par une augmentation de 0,8 pour cent du taux d’activité des mères. Au vu de ces études, on peut légitimement s’interroger pourquoi les conclusions de NZZ am Sonntag se fondent uniquement sur les travaux du professeur Josef Zweimüller et de ses coauteurs.
De nombreuses études menées dans des pays comparables à la Suisse mettent aussi en évidence un lien positif significatif. Une étude actuelle d’Audrey Bousselin pour le Luxembourg établit ainsi un lien clairement positif entre le montant des subventions pour l’accueil des enfants et l’activité professionnelle des mères quel que soit l’âge des enfants. Dans une étude de 2022, Mike Brewer a lui aussi établi une augmentation significative de l’activité professionnelle en Angleterre suite à l’élargissement de l’accueil gratuit des enfants d’un service à temps partiel à un service à plein temps. L’office fédéral des assurances sociales a, dans l’intervalle, publié une liste de vingt études émanant de Suisse et de l’étranger. Celle-ci a été établie sur mandat de la Commission de la science, de l’éducation et de la culture du Conseil national. Sur ces vingt études, quatorze ont établi un lien positif et six soit un lien négatif, soit l’absence de lien. Plusieurs des quatorze études énoncées ci-dessus ont été publiées dans des revues de sciences économiques renommées. Les nombreuses analyses en la matière démontrent avant tout que les résultats qui en découlent sont fortement tributaires de la base d’exercice des études, par exemple du montant des subventions, des normes de genre qui prévalent dans les pays concernés ou encore des différentes incitations fiscales pour les familles. C’est la dynamique des différentes mesures combinées qui est bénéfique au sujet.
L’article publié dans NZZ am Sonntag a en outre donné l’impression qu’il suffisait de modifier les normes de genre au lieu de subventionner davantage l’accueil extrafamilial des enfants. Or la réalité est quelque peu différente. D’après l’Office fédéral de la statistique, 15 pour cent des mères qui travaillent à temps partiel travailleraient d’ores et déjà davantage si suffisamment d’offres d’accueil extrafamilial au coût abordable étaient disponibles. Pour les hommes, par contre, ce taux est tout au plus de deux pour cent. Bref, même si on modifiait les normes de genre, ce pour quoi l’Union patronale suisse s’engage d’ailleurs aussi, l’attrait des offres d’accueil extrafamilial ne s’en trouverait pas renforcé et la participation à l’activité économique n’augmenterait guère. En effet, même si les normes de genre changeaient, le coût élevé de l’accueil extrafamilial des enfants continuerait de grignoter une grande partie du revenu du travail. La littérature la plus récente sur ce sujet démontre d’ailleurs que les normes de genre ne sont pas fixes mais peuvent influencées positivement en améliorant les conditions-cadres politiques et notamment en développant davantage les offres d’accueil extrafamilial. Christina Felfe et ses coauteurs démontrent cet effet à partir de l’exemple de l’introduction d’un congé de paternité en Espagne.
Le 1er mars 2023 le Conseil national examinera l’initiative parlementaire 21.403 «Remplacer le financement de départ par une solution adaptée aux réalités actuelles» dont le but premier est de réduire les contributions versées par les parents à l’accueil extrafamilial des enfants par le biais d’une aide fédérale. Un article comme celui de NZZ am Sonntag n’est guère propice à un examen factuel et équilibré de ce texte. Ce sujet est en effet bien trop important pour être dévoyé à des fins de bourrage de crâne politique. Le 1er mars 2023, le Conseil national, en sa qualité de conseil prioritaire, aura les cartes en main pour introduire une avancée qui n’a que trop tardé vers une meilleure compatibilité entre vie familiale et vie professionnelle grâce à une mise en œuvre allégée du projet.