«L’OIT a su s’adapter à maintes reprises à l’évolution du monde du travail»

L’Organisation internationale du Travail (OIT) célèbre cette année ses 100 ans. C’est la raison pour laquelle, nous avons posé cinq questions à Guy Ryder, directeur général de l’OIT.

Fondée en 1919 sous l’égide du traité de Versailles, l’OIT souffle cette année ses 100 bougies. Comment expliquer cette longévité?

La longévité de l’OIT est en grande partie due à son mandat en faveur de la justice sociale et de la paix dans et par le monde du travail qui reste aussi actuel aujourd’hui qu’il l’était il y a 100 ans, et à son unique système tripartite, qui a maintes fois fait ses preuves. Cette structure tripartite – rassemblant gouvernements, travailleurs et employeurs –  permet de promouvoir l’Agenda du travail décent, à savoir de définir les normes du travail, de promouvoir l’emploi décent et de contribuer au renforcement de la protection sociale et du dialogue social. Les normes adoptées par l’OIT — 189 conventions et 205 recommandations à ce jour — offrent un cadre aux législations nationales du travail. Ces normes ont un impact direct sur la vie de millions de travailleurs à travers le monde. Il est également important de noter qu’à travers son histoire centenaire, l’OIT a su s’adapter aux changements dans le monde du travail, tout en respectant les principes et valeurs sur lesquels elle a été fondée.

Quels sont les principaux défis auxquels doit répondre l’OIT à l’heure actuelle?

Nous avons fait des progrès énormes au cours de notre histoire centenaire, mais force est de constater qu’il reste beaucoup à faire: On estime à 172 millions le nombre de chômeurs à travers le monde et que la majorité des 3,3 milliards de personnes employées dans le monde sont confrontées à un manque de bien-être matériel, de sécurité économique, d’égalité des chances et de possibilités de développement humain. A cela s’ajoutent les bouleversements sans précédents dans le monde du travail, liés à l’économie numérique, mais aussi aux changements démographiques et climatiques et à la mondialisation. Face à ces défis, l’OIT se doit d’être tournée vers l’avenir, saisissant les transformations en cours du monde du travail.

Depuis quelques années, on assiste à l’essor de l’emploi atypique. A votre avis, l’emploi typique, à savoir l’emploi de durée indéterminée avec des horaires fixes auprès d’un seul et même employeur, est-il destiné à disparaître? 

Il est clair que l’innovation, en particulier dans les économies industrialisées, a permis de mettre en place des modalités de travail plus souples, qui permettent de travailler à distance et à la demande. Pour certains travailleurs, l’emploi atypique est un choix délibéré, mais, pour la plupart d’entre eux, il est synonyme d’insécurité. Pour les entreprises, ces emplois peuvent présenter des avantages en matière de coûts et de flexibilité à court terme, mais ils comportent également des risques importants, tels les pertes de productivité à long terme. Les formes atypiques d’emploi continueront sans doute à se multiplier à mesure que le monde du travail évolue. L’encadrement par la législation, la négociation collective et des systèmes de protection sociale sont indispensables pour garantir que l’emploi atypique soit un travail décent, et ce dans l’intérêt des travailleurs comme des entreprises. C’est à nous tous de relever ces défis.

Lors de la Conférence internationale du travail du mois de juin, les délégués se pencheront sur le rapport «Travailler pour bâtir un avenir meilleur». Quels sont les risques et les opportunités liés à la révolution numérique? 

Je pense que nous devons nous préparer à faire face à deux réalités: les nouvelles technologies peuvent dans certain cas remplacer les humains, mais elles ont également le potentiel de créer des emplois. La technologie peut également jouer un rôle clé dans la promotion du travail décent, en libérant les travailleurs des travaux difficile, pénibles, sales ou dangereux. Notre tâche est donc de maîtriser les changements technologiques pour aboutir aux meilleurs résultats, aussi bien pour le marché du travail que pour les questions sociales et matière d’environnement. L’un des principaux enjeux est de veiller à ce que la main-d’œuvre possède les compétences nécessaires en matière de nouvelles technologies. Les travailleurs devront acquérir de nouvelles compétences ou suivre un recyclage professionnel, en mettant particulièrement l’accent sur les compétences «douces», sociales et interpersonnelles.

En octobre 2018 à Berne, le Conseiller fédéral Schneider-Amman et les représentants des partenaires sociaux ont signé en votre présence la «Déclaration tripartite sur le futur du travail et du partenariat social en Suisse à l’ère de la numérisation de l’économie». Quel regard portez-vous sur ce texte qui fait la part belle au partenariat social?

Cette Déclaration tripartite est très importante, dans son contenu et sa portée. Il convient de noter qu’elle s’inscrit dans le cadre des célébrations du centenaire de l’OIT, et démontre l’attachement de la Suisse au mandat de l’OIT, à savoir la promotion de la justice sociale et du travail décent. Elle reflète un engagement pour un dialogue et un partenariat social renforcé. Ce sont là des instruments clés pour faire face aux défis qui confrontent le monde du travail. Je suis convaincu que le dialogue social est plus nécessaire que jamais alors que de nouvelles forces transforment le monde du travail. Il permet aux partenaires sociaux de prendre ensemble des décisions essentielles, par exemple pour savoir quelles technologies adopter, comment gérer les transitions pour les travailleurs déplacés par les technologies, ou pour développer un curriculum d’apprentissage adapté à un monde du travail en mutation.La culture du dialogue suisse est un point de référence pour redonner au dialogue social autorité et efficacité, et l’établir comme instrument au service du monde du travail moderne.