La tactique du retard de jeu dans l’AVS

15 octobre 2020 Opinions

Avec l’automne, la saison de hockey sur glace a repris. Comme la plupart des domaines d’activité, ce sport a aussi ses règles. La Fédération internationale de hockey sur glace (IIHF) précise ce qui est autorisé et ce qui est interdit. Par exemple, «un but est marqué lorsqu’une équipe a tiré ou dirigé le puck dans le but et complètement au-delà de la ligne de but entre les poteaux» (règle 94). Sont interdits les projections contre la bande (règle 119) ou les morsures (règle 118). Les règles 129-137 précisent les pénalités sanctionnant le fait de retarder le jeu par «une action intentionnelle ou accidentelle qui ralentit le jeu, force un arrêt de jeu, ou empêche le début de l’action de jeu.»

Que voit-on aujourd’hui? Que ce qui est interdit et sanctionné dans le hockey sur glace est à l’ordre du jour de la politique sociale suisse, plus précisément dans l’AVS. Après l’échec en automne 2017 du projet de loi combinant le premier et le deuxième piliers («Prévoyance vieillesse 2020»), le Conseil fédéral a mis en consultation un projet séparé sur l’AVS environ un an plus tard. Or, on constate que ce qui a été politiquement vendu comme une avancée rapide n’est que du vin ordinaire dans de vieilles bouteilles. En matière de contenu, aucune innovation révolutionnaire n’a été introduite, du moins par rapport aux propositions de réforme qui avaient échoué. Le Conseil fédéral a laissé passer une année supplémentaire avant d’attendre le résultat du vote sur le projet RFFA, qui se contente de fournir à l’AVS un apport financier. Fin août 2019, c’est-à-dire près de deux ans après l’échec devant les urnes, le Conseil fédéral a finalement présenté le «Message sur la stabilisation de l’AVS» (AVS 21). Et ce n’est qu’un an plus tard, en août 2020, que la commission ad hoc du Conseil des États a entamé ses délibérations. Une fois de plus, cependant, il n’a pas été possible de respecter le calendrier prévu et le projet n’a pas pu être soumis à la Chambre lors de la session d’automne. Il est maintenant prévu de le reprendre à la mi-octobre, dans l’espoir qu’il soit enfin prêt pour les débats de la session d’hiver.

Non seulement cette tactique dilatoire fait du titre du projet de loi («AVS 21») une formule creuse, mais le monde politique rate aussi un objectif essentiel: pouvoir mettre en œuvre les mesures de stabilisation financière avant la grande vague de départs à la retraite des «babyboomers». Comme l’a récemment fait remarquer le Tages Anzeiger, le relèvement de l’âge de la retraite des femmes à 65 ans, qui est maintenant sur la table, ne devrait pas être concrétisé avant 2027 – en restant optimiste. Sur les 18 cohortes initiales (1946 à 1964), généralement comptées comme appartenant à cette génération, trois exactement bénéficieraient encore pleinement de ces mesures – pour les autres, elles s’éteindraient ou resteraient un fardeau non financé dans le portefeuille des générations futures. Pour la gauche, l’objectif est donc atteint : plus on joue la montre, plus le trou dans la caisse se creuse et plus il se creuse, plus il sera nécessaire de procéder à des injections financières pures, parce que les mesures structurelles n’auront plus d’effet.

Pour les employeurs, ce comportement n’est pas seulement déloyal. Il est carrément dangereux, car d’une part des charges non financées toujours plus lourdes pèseront sur les générations suivantes et, d’autre part, la confiance dans la prévoyance vieillesse diminue. A cet égard, l’inquiétude grandissante qu’inspire la prévoyance vieillesse, selon la quasi-totalité des enquêtes, ne traduit pas seulement la modification des paramètres; elle reflète aussi un certain «dégoût du jeu». Tout comme les stades de hockey sur glace risquent de rester vides si les matches ne connaissent plus que des retards de jeu, il faut savoir que ceux qui, comme dans le cas de l’AVS, font tout pour trainer les choses en longueur méritent d’être hués par le public et pénalisés (sans projection contre la bande ni morsure, bien sûr).