Chaque chômeur est un chômeur de trop, pas seulement en temps de crise. Quiconque est réellement soucieux d’améliorer le sort des personnes concernées devrait donc procéder à une analyse sérieuse et approfondie de la situation, sans jouer les uns contre les autres les chômeurs de différentes classes d’âge. Une étude publiée par l’Union syndicale suisse (USS) et relayée par les médias ne s’inspire visiblement pas de ce souci. Nous tenons ici à remettre dans un contexte correct des faits déformés.
Les chiffres du Secrétariat d’État à l’économie (Seco) confirment que les personnes âgées de 50 ans et plus sont moins souvent au chômage que les plus jeunes (voir figure 1). Par exemple, le taux de chômage du groupe le plus âgé était de 3 pourcent en mai 2020, c’est-à-dire inférieur à celui des travailleurs plus jeunes. De plus, c’est au cours de la crise du coronavirus, entre mars et mai, qu’il a le moins augmenté.
De même, pour les deux mois d’avril et mai 2020, la croissance du nombre de chômeurs âgés de 55 à 64 ans a été la plus faible par rapport aux mêmes mois de l’année précédente (voir figure 2). Il apparait aussi que plus les chômeurs sont âgés, moins le nombre de chômeurs augmente parmi eux.
Ces données doivent aussi être connues des syndicalistes de l’USS. Il est donc d’autant plus piquant de voir qu’ils concentrent leur étude sur les branches qui emploient une proportion de travailleurs âgés supérieure à la moyenne. Ce n’est pas sérieux. Quand on procède à des licenciements dans ces branches, un plus grand nombre de travailleurs âgés en seront forcément victimes si les mises à pied touchent uniformément tous les groupes d’âge. Notons aussi que par son choix ciblé de branches, l’USS cloue au pilori les employeurs qui occupent un nombre particulièrement important de travailleurs âgés en période de prospérité. Or, c’est exactement la pratique d’embauche que l’USS réclame habituellement.
En outre, la tranche d’âge comparative de 40 à 54 ans a été retenue par les syndicats de façon si savante que les tranches plus jeunes – qui pourtant souffrent le plus du chômage du fait de la crise du Covid-19 – ne sont pas prises en compte. Comme le montre la figure 2, deux groupes d’âge ont été sélectionnés qui, mesurés par rapport à l’ensemble des personnes de plus de 15 ans, ont tous deux enregistré une croissance du nombre de chômeurs inférieure à la moyenne par rapport à l’année précédente. De plus, on ne sait pas d’où l’USS tire ses données brutes, car aucune source n’est mentionnée.
Pour confronter l’analyse syndicale, l’Union patronale suisse (UPS) a reproduit les chômeurs enregistrés du Seco par branche et par tranche d’âge et compilé les données séparément pour les mois d’avril et de mai (voir figures 3 et 4).
Les branches indiquées en rouge dans les figures 3 et 4 sont celles retenues par l’USS pour ses calculs. En plus des deux catégories d’âges indiquées par les syndicats, les graphiques montrent également la progression dans le groupe des 15-54 ans (c.-à-d. aussi des jeunes), ce qui donne une indication du caractère sélectif de la présentation des groupes d’âges par les syndicats. Les taux de croissance ainsi calculés sur la base des chiffres du chômage du Seco diffèrent en outre des chiffres des syndicats.
Le chômage est un événement grave pour les personnes touchées et tout doit être fait, bien sûr, pour l’éviter. Cependant, la crise du coronavirus plonge de nombreuses entreprises dans de sérieuses difficultés sans qu’elles n’en soient responsables, ce qui rend parfois les suppressions d’emplois inévitables. Le simple examen des faits montre à l’évidence que le chômage touche moins que la moyenne les travailleurs âgés et qu’entre mars et mai, pendant la crise du Covid-19, il a même moins progressé parmi eux que chez les plus jeunes. Le taux de chômage national correspond à une moyenne de toutes les branches, de sorte qu’il y a nécessairement des branches avec des taux de chômage supérieurs et inférieurs à cette moyenne. Le fait, comme le font ici les syndicats, de cibler délibérément à l’intention des médias les branches qui ont dû licencier un nombre de travailleurs âgés supérieur à la moyenne est un procédé tendancieux. Il donne aussi une mauvaise image des représentants des travailleurs, puisque dans de nombreux cas, ce sont précisément les branches critiquées qui emploient de nombreux travailleurs âgés en période de bonne conjoncture économique. Le chômage est un sujet trop sérieux pour être grossièrement détourné à des fins politiques.