L’immigration est dénigrée

16 janvier 2023 Opinions
Par Simon Wey

Récemment, les médias ont beaucoup parlé du seuil des neuf millions d’habitants vivant en Suisse. Ces articles ont souvent eu pour tonalité que la Suisse ne croîtrait pratiquement plus qu’en largeur à cause de l’immigration au lieu de profiter d’une croissance économique. Cet avis peut être clairement réfuté en nuançant le propos.

Considérant une population atteignant les neuf millions d’habitants en Suisse, un récent article de la Neue Zürcher Zeitung NZZ concluait que notre pays reculait dans la comparaison internationale malgré l’immigration. On parvient effectivement à cette conclusion trompeuse quand on met, comme c’est le cas en l’espèce, la croissance économique en relation avec la croissance démographique. Elle est trompeuse parce qu’elle n’est qu’à moitié véridique.

Une analyse basée exclusivement sur le produit intérieur brut (PIB) par tête livre en effet une image faussée de l’utilité de l’immigration parce que plusieurs chiffres clés importants ne sont pas pris en compte dans l’équation. Ce type d’analyse est tout simplement inexact du point de vue scientifique et apporte en définitive de l’eau au moulin des cercles qui ne reculent devant rien pour créer un climat hostile aux travailleuses et travailleurs étrangers.

Au niveau international on considère en général le PIB par tête comme un indice de la prospérité et il en est de même en Suisse. En observant ces dernières années on constate que la progression de cet indice a été plutôt modérée par le passé. En conclure que l’immigration ne se justifierait pas, voire même serait contreproductive est clairement un raccourci. Des chiffres clés importants tels que le volume de travail par personne active sont tout simplement occultés. Il est en effet un fait avéré que ce chiffre-clé a baissé de plus de dix pour cent ces trente dernières années. Un examen plus approfondi des chiffres révèle d’ailleurs que ce sont les actifs étrangers qui travaillent en moyenne près de deux semaines entières de plus par an que les Suisses, après tout. En outre, la croissance du volume de travail de l’économie dans son ensemble n’a même pas atteint la moitié de celle du nombre d’actifs.

Ces faits sont ignorés quand on considère exclusivement le PIB par tête parce qu’ils s’appuient sur un nombre constant d’heures effectivement travaillées par tête. Si, par contre, le PIB est effectivement mis en relation avec le volume de travail effectivement fourni, on observe une augmentation substantielle sur ces dernières années. Des calculs de Boris Zürcher, chef de la Direction du travail au Secrétariat d’État à l’économie (Seco) démontrent même que le revenu effectif du travail (corrigé des variations du déflateur de la consommation) a augmenté de 41,6 pour cent par heure de travail entre 1991 et 2021. Et ce n’est pas tout car, en théorie, la liberté supplémentaire des Suisses devait également être prise en compte dans le calcul comme un gain de prospérité, même si celle-ci est souvent exploitée au bénéfice de l’économie pour des formations continues. Sans l’immigration de ces dernières années, les Suisses auraient donc dû travailler davantage, sinon la prospérité par tête aurait sensiblement diminué.

Tout ce qui brille n’est évidemment pas d’or dans l’immigration. Un débat honnête sur ses avantages et ses inconvénients suppose de prendre tous les faits et évolutions déterminants en considération. Économiquement, la Suisse n’en serait pas là où elle est sans le travail des immigrant-e-s par le passé. Si nous voulons maintenir le niveau de prospérité du pays, nous ne pourrons pas nous passer à l’avenir d’une immigration axée sur le marché du travail malgré tous les efforts faits pour exploiter le potentiel de main d’œuvre indigène, a fortiori parce que la croissance du volume de travail ne suit pas l’augmentation des emplois dans l’économie suisse et parce que l’évolution démographique progresse de plus en plus. Les chiffres de l’évolution future de la population laissent entrevoir que, dans quelques années, nous porterons un regard étonné sur le débat actuel autour de l’immigration.