Une 13e rente AVS: pourquoi crée-t-elle plus de problèmes qu’elle n’en résout

22 janvier 2024 Opinions

L'évolution démographique place l'AVS devant de grands défis. Avec une 13e rente AVS pour tous, la principale assurance sociale de la Suisse serait inutilement chargé de manière supplémentaire. L'initiative semble séduisante à première vue, mais elle entraînerait des coûts supplémentaires inutiles pour toutes les parties concernées.

L’AVS est l’un des piliers de la prévoyance vieillesse suisse. Outre la prévoyance professionnelle et privée, elle assure, en tant que prévoyance étatique, les besoins vitaux dès l’arrivée à l’âge de la retraite. L’AVS est financée selon le principe de la répartition. Cela signifie que les actifs et les employeurs actuels versent leur rente AVS aux ayants droit actuels par le biais de retenues sur les salaires. Elle est également financée par la participation du budget fédéral (un bon cinquième des dépenses) et par les recettes fiscales (impôt sur le revenu et la fortune, TVA, etc.).

Avec l’évolution démographique (l’espérance de vie augmente ; les baby-boomers partent à la retraite), le déséquilibre entre les cotisants et les retraités s’accentue: alors qu’en 1948, il y avait encore 6,5 cotisants pour une personne à l’âge de la retraite, il n’y en avait plus que 3,2 en 2022 et il n’y aura plus que 2,1 cotisants en 2050. En d’autres termes: de moins en moins d’actifs doivent financer l’AVS pour de plus en plus de retraités. Cela représente déjà en soi un grand défi pour le financement de l’une de nos principales caisses de prévoyance.

Source: scénario de référence de l’OFS, représentation propre

Si l’on examine les perspectives financières de l’AVS, il est clair que de l’AVS les dépenses dépasseront les recettes dès 2030. Si ce moment n’arrive pas plus tôt, c’est aussi grâce à la réforme AVS21 récemment adoptée. Le relèvement de l’âge de la retraite des femmes et l’augmentation de la TVA à 8,1 pour cent ont permis de maintenir le résultat de répartition – la différence entre les recettes et les dépenses – à un niveau positif jusqu’en 2030. A partir de cette date, l’œuvre sociale sera à nouveau dans les chiffres rouges, ce qui ne permettra plus d’assurer le financement des rentes en cours.

Le monde politique doit définir au plus tard d’ici 2026 comment le financement doit ensuite rester équilibré. D’ici là, le Conseil fédéral devra présenter une nouvelle réforme de l’AVS visant à la stabiliser.

La 13e rente AVS – une idée captieuse

Le fait que l’idée d’une 13e rente AVS entre en jeu maintenant – en plein milieu des efforts pour stabiliser l’AVS à long terme – est irresponsable. La simplicité de la solution séduit au premier abord: simplement et directement, chaque retraité devrait recevoir une treizième fois la rente mensuelle en plus de la rente AVS existante. A une époque où les primes d’assurance-maladie et les prix des denrées alimentaires sont en nette augmentation, cela semble être une solution sociale. Une 13e rente AVS peut également paraître attrayante du point de vue de son propre porte-monnaie, puisqu’un supplément de rente annuel de 1’225 à 2’450 francs suisses contribuerait prétendument à améliorer les conditions de vie. Les auteurs de l’initiative ne précisent pas d’où proviendrait le financement d’une 13e rente AVS.

Mais cela ne change rien au fait qu’une 13e rente AVS entraînerait des dépenses supplémentaires massives, qu’il faudrait financer. Il en résulterait un trou financier qu’il faudrait inévitablement combler du côté des recettes. Si l’on considère les prévisions ci-dessous concernant le résultat de la répartition, on peut parler sans exagérer d’un accélérateur de ruine pour les finances de l’AVS en ce qui concerne la 13e rente AVS.

Source: OFAS 2022

Pour compenser la 13e rente AVS en termes de recettes, il existe essentiellement deux mesures possibles. La première serait une augmentation de la TVA d’un point de pourcentage, ce qui entraînerait une hausse du coût de la vie en raison de l’augmentation des prix des achats de produits alimentaires et de vêtements ou de services tels que les repas au restaurant. Une autre possibilité de financement consisterait à augmenter les prélèvements sur les salaires. Le financement se ferait ainsi sur le dos des personnes actives, qui souffrent également de l’augmentation du coût de la vie – est-ce social et durable? Personne ne pourra répondre par l’affirmative à cette question. En résumé, on peut plutôt dire qu’une 13e rente AVS ne rendrait pas service à moyen et long terme au pouvoir d’achat de la population en général, et de la classe moyenne en particulier.

En finir avec les faux récits

Les auteurs de l’initiative ainsi que les organisations qui leur sont proches, avancent actuellement de nombreux arguments en faveur d’une 13e rente AVS. Beaucoup d’entre eux sont tout simplement faux et peuvent être facilement réfutés par des faits.

Les partisans affirment par exemple que la situation financière de l’AVS est bonne et méconnaissent clairement les faits: le graphique ci-dessus montre ainsi que les dépenses du 1er pilier dépasseront les recettes dès 2030. À partir de cette date, le résultat de répartition deviendra drastiquement négatif. Si, par le passé, l’AVS a toujours réussi à passer dans le positif, c’est parce que des réformes coûteuses ont été engagées, toujours accompagnées de déductions élevées et de coûts pour tous.

Les auteurs de l’initiative affirment volontiers que la Suisse est suffisamment riche et qu’elle peut se permettre de verser une 13e rente AVS. Il y aurait également assez d’argent pour l’asile ou l’armée. En ce qui concerne le premier point, «pouvoir se le permettre», oui, la Suisse est un pays prospère. Mais nous le devons en grande partie à une gestion responsable et économe de l’argent. Cela implique aussi que l’argent qui est dépensé doit d’abord être encaissé. Il en va de même pour les coûts supplémentaires d’une 13e rente AVS – en 2026 déjà, cela représenterait 4,2 milliards de francs suisses – Deuxièmement, les dépenses fédérales: la Confédération doit faire face à des dépenses liées, comme le budget de l’asile ou de l’armée. Elle ne peut pas simplement retirer des fonds d’un pot pour les transférer à celui de l’AVS. L’AVS est déjà financée à plus de 20 pour cent par le budget fédéral (voir graphique ci-dessous), ce qui en fait le poste budgétaire le plus important. Si les dotations à l’AVS augmentaient, ce montant devrait inévitablement être économisé sur un autre poste de dépenses pour respecter le frein à l’endettement. Si l’on se réfère au débat budgétaire qui vient d’avoir lieu au Conseil national, on ne peut que s’imaginer la lutte de répartition à laquelle aboutirait une augmentation des dépenses de l’AVS.

Source : Portail de données du DFF, présentation propre

L’argument selon lequel la pauvreté des personnes âgées est largement répandue en Suisse n’est pas non plus valable. La majorité des retraités actuels sont fortunés et disposent en moyenne de six fois plus d’argent que les ménages d’actifs actuels.

Il est indéniable qu’il existe des cas de pauvreté chez les personnes âgées en Suisse également. Toutefois, les prestations complémentaires constituent déjà un moyen d’aider les personnes concernées. Les retraités peuvent y prétendre lorsque leurs rentes ne couvrent pas le coût de la vie en Suisse. Cela permet de garantir dès aujourd’hui un soutien équitable et adapté aux besoins. En outre, les rentes AVS sont généralement adaptées tous les deux ans en fonction de «l’indice mixte», la moyenne de l’évolution des salaires et des prix. Cela garantit que le renchérissement est pris en compte de manière appropriée lors de l’adaptation des rentes.

Contrairement aux prestations complémentaires ciblées, perçues par 12 pour cent des retraités, la 13e rente AVS est distribuée à tous les retraités au moyen d’un arrosoir. Il est incompréhensible et injuste que des personnes qui ne dépendent pas de cet argent profitent également de cette mesure. Mais l’injustice d’une 13e rente AVS culmine sans aucun doute dans le fait que ces personnes recevraient également un supplément de rente nettement plus élevé que les personnes touchant de petites rentes. En chiffres, le supplément de rente pour les bénéficiaires de la rente AVS maximale serait de 2’450 francs suisses, soit deux fois plus que pour les personnes ayant la rente AVS la plus basse.

Des solutions clairvoyantes sont nécessaires – un non à la 13e rente AVS en fait partie

Un non à la 13e rente AVS n’a rien à voir avec la jalousie, la malveillance ou le mépris envers la génération actuelle des retraités. Tout le monde est conscient de l’assiduité et de la force de travail des retraités actuels et leur est reconnaissant pour ce qu’ils ont accompli. Mais verser sans réfléchir une 13e rente AVS à tous les retraités avec un arrosoir – dont le financement n’est d’ailleurs pas assuré – est tout simplement irresponsable. Cela est d’autant plus vrai que cette montagne de dettes serait reportée sur les générations suivantes.

Au lieu de dépenser toujours plus d’argent dans les prestations sociales sans en évaluer proprement les conséquences, nous devrions mettre un terme à la spirale négative des dépenses croissantes, charger les politiques d’assainir durablement l’AVS et dire non à la 13ème rente AVS, à courte vue et néfaste, le 3 mars 2024.