Acrobatie comptable du Conseil fédéral autour de la réforme des rentes

27 juin 2017 Opinions

Comme le signale aujourd’hui la NZZ, le Conseil fédéral a berné le Parlement sur la question des coûts de la «réforme» Prévoyance vieillesse 2020. Les 6 milliards de francs prévus à l’origine sur une période transitoire de 20 ans pour la seule compensation de la génération de transition menacent à présent de devenir 12 milliards. Un parfum de véritable scandale politique flotte dans l’air!

Souvenons-nous qu’à l’origine, l’intention du Conseil fédéral était de maintenir les rentes futures à leur niveau actuel et de garantir le financement du premier et du deuxième piliers de la prévoyance vieillesse en dépit du vieillissement démographique. En août 2015, une coalition du PS et du PDC réunie dans l’arrière boutique du Conseil des Etats a concocté un projet d’inspiration de gauche qui, jusqu’à ce jour, se présente au public en habit de compromis – comme l’a ouvertement admis le Conseiller aux Etats Hans Stöckli à l’émission «Arena» du 23 juin 2017. Les objectifs tout à fait légitimes du Conseil fédéral ont ainsi été jetés par-dessus bord, au profit d’une extension de l’AVS par arrosage, selon laquelle tous les nouveaux rentiers recevront 70 francs de plus par mois et les nouveaux couples de rentiers verront le plafond de la rente de couple augmenter de 5 points.

Les représentants des deux partis ont délibérément unis leurs forces pour servir les buts de leurs précédentes initiatives populaires respectives mises en échec par le souverain. Le PDC voulait abolir la pénalité frappant les couples mariés, tandis que le PS reprenait l’objectif d’AVSplus réclamant une augmentation générale des rentes AVS. On connaît le reste: le Conseil fédéral, passant aussitôt de son rôle de serviteur consciencieux de l’Etat à celui de petit soldat de partis, a jeté aux orties ses honorables objectifs initiaux en matière de réforme et vante depuis lors sur tous les terrains le fameux «compromis» qui, en réalité, n’en a jamais été un. La majorité centre gauche du Conseil des Etats, connaissant les configurations majoritaires au Parlement, s’est refusée au jeu et à l’esprit de la négociation: elle a ainsi franchi sans compromis toutes les phases du processus politique pour finalement s’imposer par 14 voix contre 12 lors d’une mémorable conférence de conciliation.

Toutes les tentatives visant à remettre la réforme dans sa trajectoire d’origine ciblant la sécurité durable des rentes, ont été bloquées. Quiconque osait, le plus légitimement du monde, remettre en question les calculs acrobatiques du Conseil fédéral sur les coûts vertigineux de l’extension de l’AVS et du modèle du Conseil des Etats compensant la baisse du taux de conversion minimal, était critiqué sans ménagement et traité de fumiste. Or, ces craintes se confirment bel et bien aujourd’hui. Comme le souligne la NZZ, ce n’est pas seulement l’augmentation forfaitaire de 70 francs par mois prévue pour les nouveaux rentiers, riches ou pauvres, qui conduit l’AVS au désastre; désormais le mode de compensation du taux de conversion minimal se présente, lui aussi, comme un puits sans fond.

De manière tout à fait coupable, on a oublié de préciser, dans le cadre du projet du Conseil fédéral à l’appui de la révision des prestations complémentaires, que ces PC, en raison de l’interdiction du retrait en capital des prestations obligatoires de la prévoyance professionnelle, se traduiront par un renchérissement massif de la compensation en faveur de la génération de transition – soit de 200 millions de francs par année – comme le reconnaît à présent l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) à la demande de la NZZ. Ce n’est pas tout: la gauche et les syndicats se sont battus si furieusement pour imposer leurs intérêts particuliers qu’ils ont totalement négligé leur propre clientèle traditionnelle, en l’occurrence les rentiers de demain les moins argentés: les assurés relevant exclusivement du régime obligatoire LPP. Voilà qui explique la réaction de panique de la gauche quand elle s’est rendue compte, un peu tard, que le subside de compensation prévu dès l’âge de 45 ans ne profiterait qu’aux travailleurs qui prendraient leur retraite à 65 ans. Pourtant leurs vigoureuses interventions auprès de l’OFAS n’ont pas porté leurs fruits dans un premier temps. Comme l’a répété à la NZZ il y a peu la vice-directrice Colette Nova, cette règle figure bel en bien dans la loi que le Parlement a adoptée telle quelle.

Qu’à cela ne tienne, sans grande surprise le Conseil fédéral a trouvé un détour: le texte de loi, est-il précisé dans le cadre des ordonnances d’exécution mises en consultation il y a 10 jours, doit offrir une certaine marge d’interprétation. Le Gouvernement propose ainsi deux variantes. Une de celle-ci qui complète donc le cadre de la loi, doit résoudre le problème apparu tardivement aux syndicats et permettre même aux membres de la génération de transition qui prennent leur retraite anticipée de bénéficier de la compensation. Son prix: 100 millions de francs de coûts supplémentaires par année, soit un total de 2 milliards sur la période de transition de 20 ans. Cela figure en toutes lettres dans les explications accompagnant les projets d’ordonnances.

Mais ces chiffres sont-ils seulement corrects? Sur la base des indicateurs connus des départs à la retraite anticipée, il se pourrait qu’on soit bien en dessous de la réalité. A la NZZ, l’OFAS parle déjà de 150 millions de francs par année. Au lieu des 6 milliards de francs prévus aujourd’hui pour le modèle de compensation, il faudrait donc bientôt en dépenser 12. D’où cette question: s’il avait eu connaissance de ces réalités, est-on certain que le Parlement aurait donné son accord – d’extrême justesse – à cette prétendue réforme? Certains parlementaires pourraient bien se sentir floués. Sans parler des mauvaises surprises qui peuvent encore nous attendre. Le 24 septembre, dans les urnes, l’occasion sera donc donnée au peuple de mettre un terme à cette mauvaise farce.