Une génération perdue dans la LPP?

Depuis quelque temps, on entend de plus en plus ce type d’affirmation en rapport avec la prévoyance vieillesse: dans le deuxième pilier, la génération des «baby-boomers» devient la génération des «losers». Formellement, un anglicisme peu flatteur se substitue à un autre, mais sur le fond, il y a plus que cela. Une raison suffisante pour y regarder de plus près.

On ne saurait mieux définir la situation que John Rawls, qui nomme «voile d’ignorance» le fait que l’on ne puisse mesurer l’équité entre les générations avant que «les jeux soient faits», en quelque sorte. Si l’on veut savoir si une génération donnée a profité ou perdu financièrement vis-à-vis de ses parents ou de ses enfants, on ne peut le constater qu’au moment du décès. Comme on le dit familièrement: «C’est à la fin de la foire qu’on compte les bouses».

Il en va ainsi dans le débat actuel sur la prévoyance vieillesse en Suisse. Suite au renversement de tendance sur le front des taux d’intérêt et à la hausse de l’inflation, certains parlent d’une génération perdue dans le deuxième pilier. Il s’agit des classes d’âge actuellement situées entre 55 et 70 ans, qui ont dû accepter des réductions parfois douloureuses des taux de conversion dans le régime surobligatoire, tout en cofinançant la redistribution en faveur des retraités. Cette dernière mesure a pris la forme d’une baisse de la rémunération des capitaux d’épargne, de sorte que les prestations de vieillesse sont inférieures à plusieurs égards.

Prenons d’emblée la mauvaise nouvelle: l’effet négatif, il est vrai, ne peut être totalement écarté. Avec le début de la phase de bas taux d’intérêt qui a suivi la crise financière, les institutions de prévoyance suisses ont été mises au défi de renforcer massivement les réserves mathématiques pour couvrir les rentes promises, puisque le capital investi allait rapporter moins à long terme – tandis que l’espérance de vie continuerait de s’allonger. Ce renforcement a été financé en grande partie par les rendements enregistrés sur les portefeuilles d’obligations existants et par le gonflement des actifs en actions et biens immobiliers. Parallèlement, il s’agissait d’adapter les promesses de prestations futures aux nouvelles réalités et donc de les réduire. Dans le pire des cas, des assurés auront donc pris leur retraite avec un taux de conversion plus bas et n’auront pas profité d’une bonne rémunération des capitaux d’épargne juste avant cela.

Mais comme c’est le cas pour de nombreuses situations soudain montées en épingle, il faut voir les choses dans leur totalité. Premièrement, la génération en question a bénéficié après la crise financière d’une reprise économique d’une ampleur complètement inattendue – qui plus est sans la moindre inflation – tandis que les retraités plus âgés ont toujours eu leur rente garantie, bien qu’en valeur nominale seulement. Deuxièmement, dans la grande majorité des cas, les ajustements des paramètres de prestations ont aussi servi à renforcer le processus d’épargne dans la prévoyance et à accumuler ainsi davantage de capital. Si le renversement de tendance sur le front des taux d’intérêt se poursuit effectivement, les générations concernées en profiteront davantage. Troisièmement, enfin, il ne faut pas oublier ce qu’a si bien dit John Rawls, cité plus haut: ce n’est toujours qu’en bout de course que l’on sait si les bénéficiaires – ou les perdants – d’aujourd’hui appartiennent aussi à ces catégories à long terme. Dans l’immédiat, retenons ceci: notre prévoyance vieillesse n’a pas besoin de réactions à chaud ou de subsides versés par saupoudrage, mais d’une stabilité durable et d’une répartition équitable des charges.