«L’apprentissage tout au long de la vie doit devenir une culture du travail»

11 février 2020 5 questions à...

«Nous avons besoin de nouvelles connaissances, de nouvelles aptitudes et de nouvelles compétences en matière de médias», insiste Patrick Warnking, directeur national de Google Suisse depuis 2011. Les employeurs et la direction ont une responsabilité importante à cet égard. Dans cette interview, il nous dit comment «LifelongLearning» peut devenir une culture d'entreprise.

Patrick Warnking zum Thema Lebenslanges Lernen

Google est l’un des principaux moteurs de la mutation numérique sur notre planète. Selon vous, quels sont les changements les plus importants auxquels l’économie suisse doit s’attendre dans les années à venir?             

Patrick Warnking: La numérisation offre à la Suisse, pays très développé, beaucoup plus de chances que de risques. Mais nous devons conduire la transition numérique en nous concentrant sur les personnes: l’innovation dans l’entreprise doit avoir un impact positif sur la vie quotidienne des gens, en l’occurrence celle des employés. On en attend une plus grande efficacité et des avantages supplémentaires en matière de navigation, de mobilité, de formation, d’information, de divertissement, de communication ou d’énergie. Selon moi, les deux grandes priorités de recherche sont l’intelligence artificielle et la sécurité des données ou le cryptage. Dans ces deux domaines, la Suisse devrait se fixer pour objectif de devenir un leader mondial et investir en conséquence. Après tout, elle est prédestinée à jouer un rôle de premier plan dans le traitement des données, notamment sur les plans de la sécurité et de l’éthique. Cette priorité devrait s’accompagner d’un engagement en faveur d’une excellente formation de base, qui inclue la promotion de la compétence médiatique. Chez Google, nous travaillons en profondeur sur ces questions et nous nous sommes fixé des objectifs ambitieux, notamment en ce qui concerne les principes de l’intelligence artificielle.

Dans le tourbillonnement de ses tâches quotidiennes, il n’est pas facile pour une entreprise de traiter très activement la question de l’apprentissage tout au long de la vie avec tous ses employés. Comment y parvenez-vous chez Google Suisse?

A cet égard, les nombreuses réalités nouvelles qui se présentent nous fournissent autant d’opportunités et de défis. Je pense qu’un facteur de réussite consiste à prendre très au sérieux les questions et les préoccupations des salariés. Chez Google, les efforts importants consacrés à la formation du personnel sont le fondement de l’innovation. Nous accordons à nos employés suffisamment de temps pour leur permettre d’investir dans leur propre perfectionnement. J’y consacre personnellement beaucoup plus de temps qu’il y a quelques années. Je passe plusieurs semaines par an et travaille même chaque semaine à acquérir de nouvelles compétences et explorer de nouveaux sujets. Voilà ce que chacun de nous devrait se fixer comme but: investir pour lui-même, pour ses enfants, pour ses collègues. Et la direction d’une entreprise devrait le mettre à son ordre du jour. Avec l’aide de digitalswitzerland, nous souhaitons apporter une contribution significative, en tant que Google Suisse, au positionnement de la Suisse comme centre de compétences dans le secteur «Digital». Rien que l’année dernière, Google Suisse a formé gratuitement plus de 10’000 personnes – issues principalement de PME – sur les thèmes du numérique dans le cadre du programme AtelierDigital.ch, afin de leur permettre de faire carrière dans le monde numérique.

Comment les employeurs peuvent-ils faire de la formation tout au long de la vie une culture d’entreprise?

Je voudrais que nous accordions tous plus d’efforts à la formation! Pourquoi? Parce qu’en tant que pays traditionnellement innovant, la Suisse est aujourd’hui confrontée à la tâche immensément importante de transmettre de plus en plus de compétences numériques à la prochaine génération, mais aussi à la population active d’aujourd’hui. Pour moi, la formation, la recherche et l’innovation demeurent la clé de la réussite future de notre pays. En matière de formation, nous devons agir selon trois grands axes: d’abord, promouvoir davantage de jeunes talents dans les disciplines MINT; ensuite, développer massivement, à l’intention des employés, l’apprentissage tout au long de la vie dans la culture d’entreprise; enfin, offrir des équipements de recherche attrayants et des emplois susceptibles de rester parmi les meilleurs du monde et d’attirer les meilleurs talents. Par exemple, je recommande souvent à la direction d’une petite ou moyenne entreprise d’organiser à l’interne un concours vidéo où 20 employés forment dix équipes, chacune d’elles produisant une courte vidéo qui présente l’entreprise en 60 ou 120 secondes. Tout ce dont vous avez besoin pour cette production, ce sont des smartphones. Les meilleures vidéos sont mises en ligne sur le site et les clients sont invités à donner leur avis. C’est une façon très simple de tester les nouveaux canaux de communication numériques. Une petite entreprise peut le faire beaucoup plus facilement et rapidement. Il s’agit d’un début modeste mais prometteur pour introduire une culture de l’apprentissage permanent dans l’entreprise.

 

La formation continue a besoin de temps, de concentration et de soutien pour s’adapter à chaque industrie et aux diverses tâches. Mais chaque employé doit aussi assumer ses responsabilités en montrant de bonnes dispositions à l’égard de son développement personnel.

Où pensez-vous qu’il est le plus urgent d’agir?

En Suisse tout spécialement, il existe un très large éventail de possibilités de formation continue, ce qui est un précieux atout comparatif par rapport aux autres pays. Mais ces possibilités sont encore sous-exploitées. Malheureusement, très peu d’employés de notre pays connaissent la plateforme www.lifelonglearning.ch mise sur pied par l’Union patronale suisse et digitalswitzerland, avec ses centaines d’options de formation continue. De plus, l’apprentissage tout au long de la vie est encore absent de la culture du travail de nombreuses entreprises. Par exemple, une étude Deloitte réalisée l’an dernier a montré que près de la moitié de la population suisse (49 pour cent) n’avait suivi aucun cours de formation sur les douze derniers mois. Et que 58 pour cent des travailleurs peu et moyennement qualifiés n’ayant pas suivi de formation n’en voyaient pas du tout la nécessité. Sur ce plan, une action s’impose donc. La formation continue est également utile dans les domaines de la sécurité et de la sphère privée. Bien que le sujet préoccupe beaucoup de gens, la plupart ne semblent pas savoir comment choisir un mot de passe sûr, utiliser un cryptage bidirectionnel ou comment garder la visibilité et le contrôle total de leurs données, par exemple, avec leur compte Google. C’est à cela aussi que chacun d’entre nous devrait travailler.

Comment un employeur peut-il promouvoir la formation continue de manière ciblée et bien adaptée à l’entreprise?

Le changement est à l’ordre du jour dans la plupart des entreprises. Des opportunités en découlent, principalement à l’égard de la clientèle, de l’innovation et du développement d’une culture appropriée au sein de l’entreprise. Les modèles commerciaux et les chaînes de valeur évoluent. Les clients existants et les clients nouveaux voient s’offrir à eux toujours plus de nouveaux canaux, qui exigent un nouveau savoir-faire, de nouvelles compétences et de nouvelles ressources. Pour relever ce défi, il est essentiel de revoir la culture de l’entreprise, notamment sur les questions du dialogue avec les clients, de l’innovation et de la formation continue. Souvent, il faut renforcer les synergies entre les départements, par exemple ceux des ventes, du marketing et de l’informatique. La direction doit montrer l’exemple et mener à bien ce changement. La mutation numérique est l’affaire du chef, tout en restant centrée sur les personnes, c’est-à-dire les clients et les employés. Pour moi, l’apprentissage tout au long de la vie est le facteur de réussite numéro un des entreprises, mais aussi des individus. Dans les grandes entreprises, je songe de préférence à un «Chief Digital Officer», plutôt qu’à un «Chief Learning Officer». Nous avons besoin de nouvelles connaissances, de nouvelles aptitudes et de nouvelles compétences en matière de médias. Les employeurs et les directions ont une responsabilité importante à cet égard. La formation continue a besoin de temps, de concentration et de soutien pour s’adapter à chaque industrie et aux diverses tâches. Mais chaque employé doit aussi assumer ses responsabilités en montrant de bonnes dispositions à l’égard de son développement personnel.