Marge de manœuvre très serrée pour des augmentations de salaires

10 juin 2022 Nouvelles

Malgré un contexte économique toujours favorable et un marché du travail extrêmement animé, l'euphorie n'est pas au rendez-vous. Il y a de bonnes raisons à cela, car même avec des carnets de commandes bien remplis, les entreprises ne peuvent pas tourner à plein régime. L'inflation croissante vient s'ajouter au mélange toxique de la pénurie de main-d'œuvre qualifiée et des goulets d'étranglement dans les livraisons. Ces facteurs ne réduisent pas seulement le pouvoir d'achat des travailleurs; ils ont également des répercussions négatives pour les entreprises, dont les marges bénéficiaires diminuent, et du même coup le volant de manœuvre pour des augmentations de salaire.

Selon l’indicateur KOF, la situation des affaires est toujours bonne. Pour une fois, cependant, le problème des entreprises ne réside pas dans la faiblesse de la demande des marchés acheteurs. C’est plutôt la pénurie de main-d’œuvre qualifiée, fortement accentuée, et les problèmes de la chaîne d’approvisionnement, principalement dus à la Chine, qui les affectent, en compliquant leur développement économique et en les empêchant dans de nombreux cas de livrer leurs produits dans les délais.

Les problèmes de la chaîne d’approvisionnement, combinés à l’augmentation des prix des matières premières due à la crise ukrainienne, provoquent une poussée de l’inflation. Celle-ci est à nouveau passée en mai de 2,5 à 2,9 pour cent et continuera de s’aggraver ces prochains mois. Bien que ce niveau soit modéré par rapport à l’UE ou aux États-Unis, on n’est pas habitué à des valeurs aussi élevées dans notre pays (voir figure 1). Les entreprises de chez nous ne profitent pas non plus de cette inflation presque exclusivement importée, car elles doivent supporter la hausse des prix au détriment de leurs marges.

Figure 1: Les taux d’inflation dans les pays européens. Au milieu, la Suisse est un îlot de basse inflation avec un taux de 2,9 pour cent en mai. La Turquie, qui a connu un taux d’inflation de 73,5 pour cent en mai, ne figure pas dans le tableau.

On ne sait pas combien de temps la hausse va se poursuivre. Le prix de certaines sources d’énergie comme le pétrole brut est fortement spéculatif, contrairement à celui du gaz et de l’électricité, qui sont administrés en Suisse et ne pourront être adaptés que l’année prochaine au plus tôt. L’accélération de la levée du confinement Covid à Shanghai et la tendance à la baisse des temps d’attente dans les ports chinois, qui permettent à nouveau d’augmenter les transbordements, sont des éléments positifs. Voyons toutefois dans quelle mesure ces évolutions dureront, sur l’arrière plan de la situation Covid en Chine.

Restent les banques centrales, dont la politique monétaire exerce un effet de levier primordial contre l’inflation. La banque centrale américaine (FED) a déjà relevé son taux directeur de 0,5 point en mai pour tempérer un taux d’inflation de plus de 8 pour cent. Bien que la tendance inflationniste semble s’être inversée, il faut s’attendre à ce que la politique monétaire américaine se resserre encore dans les mois à venir. De même, la BCE a déjà annoncé une hausse de ses taux, ce qui devrait pousser la Banque nationale suisse dans la même direction. Le relèvement des taux directeurs serait particulièrement bienvenu, qui permettrait de réduire le risque d’effets secondaires, tels que des prix plus élevés.

Aux États-Unis en particulier, où l’on s’attend à une remontée sensible du taux directeur, ce coup de barre aura un effet négatif sur l’évolution conjoncturelle. Un «atterrissage brutal» n’est pas improbable, ce qui risque d’entraîner une stagnation ou, dans le pire des cas, une récession. C’est ce ralentissement potentiel de l’économie américaine qui constitue actuellement le plus grand danger pour la conjoncture mondiale comme pour l’économie suisse. A cela s’ajoute l’hypothèque sanitaire de la Chine, et bien que les signes de tempête soient moins nombreux qu’auparavant, on ne peut en aucun cas exclure une aggravation de la situation.

Si l’on revient au marché du travail suisse, on peut notamment se demander dans quelle mesure le renchérissement peut être compensé par des salaires plus élevés. Il n’y a pas d’automatisme disant qu’une poussée d’inflation doive nécessairement être absorbée par des hausses de salaires. D’autant moins que l’inflation est majoritairement importée et que les entreprises suisses n’en profitent donc pas. Au contraire, elles sont confrontées à une concurrence acharnée, à des prix plus élevés et à une baisse des marges. Et bien que la situation des affaires reste modérément optimiste pour nombre d’entre elles, leur marge de manœuvre pour des augmentations de salaire diminue. Ajoutons à cela que les entreprises utilisent en priorité leurs ressources pour être sûres de conserver un minimum de solidité financière dans la durée et de maintenir leurs emplois. Ces dernières années, par ailleurs, rappelons que les salariés ont souvent bénéficié d’un renchérissement négatif, en l’occurrence d’une croissance moyenne non négligeable des salaires de 0,8 pour cent en valeur réelle au cours de ces dix dernières années.

Outre l’inflation, la hausse des primes d’assurance maladie réduit en fin de compte le revenu disponible des consommateurs. Leurs niveaux évoluent plus ou moins indépendamment de la marche économique des entreprises, raison pour laquelle, à juste titre d’ailleurs, ces coûts ne sont pas, ou guère, pris en compte dans le calcul des salaires versés. Il serait même problématique que les employeurs compensent toujours directement la hausse des coûts. La forte augmentation des coûts doit aussi être un signal adressé aux politiques pour qu’ils traitent cette question durablement, à l’aide de mesures appropriées.