L’année des employeurs 2021

Un an plus tard, nous n’avons malheureusement pas encore mis la crise du coronavirus derrière nous. Mais nous avons déjà appris beaucoup de choses, notamment à vivre avec cette crise jusqu’à un  certain point.

Pour votre branche et votre entreprise en particulier, quel est le principal enseignement que vous ayez tiré jusqu’à présent de la crise du coronavirus?

M. Piccioli: L’un des enseignements est que nous pouvons également guider notre entreprise à travers une telle crise et enrayer le danger – grâce à une bonne collaboration pragmatique entre les employeurs, les employés, le  monde politique et la population. Dans notre système fédéraliste, la communication et les processus de décision sont malheureusement souvent trop lents. Au Tessin, l’AITI était pour ainsi dire en première ligne, notamment avec la mise en œuvre de solutions concrètes comme les permis pour frontaliers. Grâce aux dispositions prises très tôt, le lieu de travail était un endroit très sûr pour nos collaborateurs. Ils nous ont remerciés par leur confiance, leur grande flexibilité et leur discipline.

B. Lüchinger: Ce que j’ai appris, c’est qu’il y a toujours une solution. Il faut être prêt à trouver des solutions non conventionnelles et les employeurs comme les employés doivent apprendre à gérer le court terme et l’impossibilité de planifier. Il faut de la flexibilité et plus de compréhension de la part de tous – concrètement, dans notre entreprise de construction, en-tre employeurs et employés, clients, chefs de chantier, architectes et fournisseurs. Au niveau fédéral, l’Union patronale suisse a fait preuve d’un grand engagement et joue un rôle important dans les efforts visant à faire entendre les préoccupations de l’économie.

Au comité directeur de l’UPS, vous représentez tous deux une région frontalière de la Suisse: le Tessin et la vallée du Rhin, donc aussi la problématique de la frontière, qui est très différente. Quel rôle joue-t-elle?

B. Lüchinger: Cette question de frontière et d’accès au marché intérieur de l’UE est extrêmement importante dans la vallée du Rhin, très exportatrice. Cette région compte au total en- viron 4 500 frontaliers – 3 000 rien que pour les membres affiliés à notre asso- ciation. Pour travailler, les frontaliers doivent pouvoir passer la frontière sans encombre. Au sein de l’UPS et des associations économiques en général, les régions frontalières et les frontaliers, en particulier s’ils sont liés à d’importants marchés d’exportation dans l’UE, doivent demeurer un thème permanent. Mais nous devons aussi nous faire entendre en permanence. C’est ainsi que la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter est venue dans la vallée du Rhin en mars 2020, où elle a rencontré Jens Breu de SFS Group et moi-même pour se faire une idée de la situation dans notre région.

M. Piccioli: Historiquement, les frontaliers ont toujours beaucoup compté pour l’économie et la compétitivité du canton du Tessin. La crise du Covid a montré toute leur importance pour certaines branches. Du personnel hautement qualifié à la main-d’œuvre italienne du secteur productif, ces spécialistes comblent les lacunes et maintiennent le chômage à un niveau relativement bas. Il ne faut pas oublier qu’en une heure de voiture, on passe du Tessin, avec ses 350’000 âmes, à un bassin de 4 à 5 millions d’habitants. C’est pourquoi la pression est certainement plus forte pour les travailleurs au Tessin que dans d’autres cantons frontaliers: d’une part en raison des salaires attractifs de la Suisse, d’autre part du fait que la main-d’œuvre locale, notamment à cause de la langue, se déplace moins vers d’autres cantons. Mais les craintes de la population proviennent surtout du nombre croissant de frontaliers observé dans les services depuis la crise économique. Concrètement, on en compte désormais 45 000, alors que dans l’industrie, avec 24’000 leur nombre est resté constant.

Que pensez-vous du «Guide Télétravail transfrontalier» qui vient d’être lancé à l’initiative des associations économiques romandes sous l’égide de l’UPS?

B. Lüchinger: Ce guide est une bonne chose. Dès qu’une nouvelle forme de travail, comme le télétravail actuellement, se développe, de nouvelles exigences et attentes apparaissent. C’est pourquoi de tels guides sont importants. Ils aident à mettre le doigt sur les problèmes et offrent un soutien.

M. Piccioli: Il est toujours bon de pouvoir aborder des thèmes spécifiques comme celui-ci au niveau régional. Avec notre voisin l’Italie, nous avons trouvé une solution pragmatique dans ce domaine, qui fonctionne bien dans la situation du Covid. Nous devrons ensuite regarder plus loin.

L’UPS met également en garde contre la pénurie de main-d’œuvre qualifiée qui s’aggrave dans l’économie. D’après votre expérience, où le bât blesse-t-il le plus?

M. Piccioli: Le sujet est préoccupant, même dans le canton du Tessin. Aujourd’hui déjà, il est difficile de trouver suffisamment de spécialistes, surtout dans les professions techniques. Sans compter que du seul fait de l’évolution démographique, il n’y a pas assez de jeunes professionnels. Nous devons certainement travailler aussi la question de la formation dans les branches concernées. En tant qu’association, nous misons beaucoup sur le système de formation duale. A cela s’ajoutent les nouveaux profils professionnels qu’il faut intégrer. Dans ce domaine, l’AITI souhaite également renforcer la collaboration et les échanges avec ses collègues de Suisse alémanique.

B. Lüchinger: Je pense que le problème du manque de personnel qualifié est reconnu. Il faut toutefois prendre des contremesures. Je suis donc, moi aussi, pour un soutien et une promotion clairs de la formation professionnelle duale – qui est l’une des clés du succès de la Suisse. Nous devons maintenir l’attractivité de cette voie binaire, qui permet d’acquérir à la fois de la pratique et des connaissances théoriques. Du côté de l’Union patronale du Rheintal, nous avons lancé un projet pilote appelé «Young Tec-Fun», qui veut permettre aux jeunes d’accéder aux métiers techniques dès l’école primaire.

Quel est le rôle des employeurs face à cette évolution?

B. Lüchinger: Pour pouvoir attirer des spécialistes, nous devons, en tant qu’employeur, créer un environnement attrayant pour tous les groupes avec leurs besoins et situations de vie: c’est-à-dire les apprentis, les mères et les pères de famille, les célibataires, les employés âgés et cela, d’une manière générale, dans le cadre de la conciliation travail-loisirs ou travail-famille, qu’il s’agit de mettre en œuvre. Cela signifie également qu’il faut avoir un mélange de jeunes et de moins jeunes parmi les collaborateurs. Nous devons réussir à maintenir davantage de femmes, y compris celles qui ont des enfants, dans le monde du travail. En outre, nous devons augmenter les temps partiels. Dans notre entreprise, nous soutenons les solutions individuelles, avec des expériences très positives.

M. Piccioli: Sur ce thème, j’observe souvent que de nombreuses entreprises sont certes ouvertes et flexibles vis-à-vis de leurs collaborateurs, mais qu’il leur manque en même temps les structures nécessaires à une mise en œuvre
ou une communication cohérentes de leurs bonnes pratiques. L’AITI propose à ces entreprises, souvent des PME, des concepts standard et des aides, par exemple en matière de responsabilité sociale des entreprises (RSE) ou sur le plan de l’articulation vie professionnelle-vie privée.

B. Lüchinger: Exactement. Les associations comme l’AITI ou l’UPS sont également là pour ça. Bien sûr, toutes les entreprises ne peuvent pas mettre en œuvre de la même manière les concepts de conciliation vie-travail
ou de travail flexible, mais beaucoup de choses sont possibles.

M. Piccioli: Il n’est pas non plus judicieux de vouloir atteindre ces objectifs au moyen de lois contraignantes, plutôt que par un soutien concret, la mise à disposition d’outils et la création des conditions cadres nécessaires. Pour des sujets comme la conciliation famille-travail, les entreprises elles-mêmes
pourraient intervenir plus activement dans le processus politique et être plus présentes dans les discussions du Parlement, afin d’exercer une influence en amont des décisions.

Madame Lüchinger, en tant que membre de la direction de votre entreprise, vous vous êtes imposée dans un domaine qui reste typiquement «masculin». Comment jugez-vous les différences entre les sexes dans l’économie et les efforts vers l’égalité?

B. Lüchinger: Personnellement, je pense qu’en 2021, l’égalité hommes –femmes est une évidence pour un employeur qui se veut attractif. En ce qui me concerne, la question des différences entre moi et mes collègues masculins ne s’est pas posée. Je voyais avant tout la possibilité de faire bouger les choses. Je n’ai pas soutenu le nouvel instrument de l’analyse de l’égalité salariale. À l’ère de la pénurie de main- d’œuvre qualifiée, il faut payer de bons salaires et respecter l’égalité. Nous devons cesser de créer à tout propos de nouvelles lois et obligations, qui entraînent un énorme cumul de charges administratives et de coûts. Autre chose: des changements comme celui-ci prennent du temps.

Monsieur Piccioli, depuis 2021 vous représentez l’Associazione Industrie Ticinesi (AITI) au comité directeur. A l’UPS, votre canton est également représenté depuis l’année dernière par la Camera di Commercio del Cantone Ticino (Cc-Ti). En quoi les deux associations se distinguent-elles et comment se coordonnent-elles?

M. Piccioli: La Camera di commercio (Cc-Ti) est la chambre de commerce qui, en principe, ne couvre pas de secteurs spécifiques, mais tous les domaines de la vie économique générale, et offre ses services en conséquence. En revanche, l’AITI représente et traite spécifiquement les intérêts des entreprises industrielles – but pour lequel elle a été créée à l’origine. L’industrie représente tout de même 23 pour cent du PIB tessinois et a son dynamisme propre. Il y a cependant des sujets sur lesquels les deux associations Cc-Ti et AITI coordonnent leurs activités. Bien que l’AITI et la Cc-Ti restent deux associations indépendantes, elles essaient néanmoins de collaborer chaque fois que c’est possible et d’exploiter des synergies afin d’être une voix encore plus forte pour l’économie.

Nous avons placé ce rapport annuel sous le titre transversal des «Nouvelles formes de travail, modèles de travail du futur». Quels sont les aspects qui sont au premier plan pour votre secteur ou votre entreprise? Dans quelle mesure la pandémie a-t-elle joué un rôle?

B. Lüchinger: La crise a donné un coup de fouet à la numérisation. Par ailleurs, d’une manière générale le monde du travail connaît depuis quelques années une transformation structurelle fondamentale. Les formes de travail et
les hiérarchies classiques sont aujourd’hui considérées comme dépassées. Il s’agit de mettre davantage l’accent sur les besoins des collaborateurs. La pandémie a sans aucun doute accéléré les processus et favorisé une plus grande ouverture et une meilleure compréhension du thème de la flexibilité. Beaucoup de choses qui étaient impensables auparavant sont soudain devenues possibles. Le télétravail en est un exemple.

M. Piccioli: Si l’on regarde les métiers, la numérisation crée aussi de nouveaux profils et de nouvelles professions. Dans notre secteur industriel, par exemple celle de polymécanicien a soudain une dimension informatique importante; même remarque pour les mécaniciens automobiles.