«La question du déficit de l’AVS n’est pas réglée»

29 octobre 2015 Revue de presse

«Le Conseil des États mélange le 1er et le 2ème pilier, en prévoyant en plus de la compensation de la réduction des rentes LPP, une augmentation de l’AVS. On ne peut pas financer un pilier avec l’autre, d’autant plus que la question du déficit de l’AVS n’est pas réglée, puisqu’il s’élèvera à environ 6 milliards en 2035», dit Martin Kaiser.

Pensez-vous que la vision globale, 1er et 2ème pilier, de cette réforme est opportune et lui donne des chances de succès?
Cette vue d’ensemble est une bonne chose; elle donne de la crédibilité à la réforme. Par contre, le citoyen s’inquiète surtout du montant de sa rente et en mettant trop de choses dans ce projet, le Conseil fédéral augmente le risque de refus en votation populaire. C’est pourquoi, nous estimons qu’il est politiquement dangereux de changer certaines choses comme les rentes de veuves; pour nous, il faut se concentrer sur le financement et la sécurité des rentes.

Le Conseil des États a certes bien épuré le projet du Conseil fédéral, mais mélange tout de même encore le 1er et le 2ème pilier, en prévoyant en plus de la compensation de la réduction des rentes LPP, une augmentation de l’AVS, financée par une hausse de 0,3 pour cent des cotisations salariales. On ne peut pas financer un pilier avec l’autre, d’autant plus que la question du déficit de l’AVS n’est pas réglée, puisqu’il s’élèvera à environ 6 milliards en 2035. Le besoin de financer les augmentations dans l’AVS – 1,4 milliards en 2030 – représenterait à nouveau un financement de 0,15 pour cent de cotisations salariales en 2035. Cette proposition du Conseil des États aggrave le problème du financement et de la démographie.

Les deux projets des milieux économiques sont-ils dissociables?
Il est possible de soumettre en votation le projet 1 sans le projet 2, mais l’inverse n’est pas possible. Le projet 2 avec une règle de stabilisation pour l’AVS comprend deux éléments, à savoir qu’il appartient en premier lieu au Politique de trouver la solution si le financement des rentes devient difficile, et dans le cas où il n’y parvient pas, un automatisme se déclenche pour relever progressivement l’âge de référence de la retraite de 24 mois au maximum. L’idée vient du fait que la Suisse a accepté le frein à l’endettement; les milieux économiques ont donc recherché un modèle similaire; il s’agit d’un mécanisme automatique prévu et admis en avance qui permet d’éviter une votation. Le Parlement doit admettre que s’il n’arrive pas à résoudre les problèmes, le financement stable et durable de l’AVS doit être garanti par un autre biais. Cette règle de stabilisation a l’avantage de répondre au besoin de financement de l’AVS et en même temps au besoin du marché du travail. Ainsi, à très long terme – et seulement si nécessaire – l’âge maximum serait de 65 ans + 24 mois.

Comment voyez-vous le déroulement des différentes étapes?
Le Conseil fédéral aurait aimé arriver à l’âge de référence de la retraite à 65 ans pour tous, en 6 ans depuis 2018 avec une augmentation de la TVA et un taux de conversion à 6 pour cent en quatre étapes. La règle de stabilisation interviendrait si nécessaire après 2030 avec 1 pour cent de cotisations sur les salaires et une baisse de l’indice mixte de 5 pour cent, ce qui équivaudrait à un abaissement des rentes. A la session d’automne, le Conseil des États est parti sur un âge de référence 65/65 en 4 ans avec une augmentation de la TVA de 0,3 pour cent en 2018 et en 2021, puis encore de 0,4 pour cent en 2025. Or, le Conseil des États ne dit rien du financement après 2030. Pour les milieux économiques, le problème est structurel et peut se résoudre en deux projets joint au financement additionnel de 0,3 pour cent de TVA en 2018 et 0,3 pour cent en 2021; l’avantage de la TVA est que tout le monde la paie, y compris les rentiers riches ! En 2018, la TVA augmentera sans effet réel sur le consommateur, puisque le prélèvement de 0,3 pour cent en faveur de l’AI se terminera à fin 2017. Il s’agit bien d’une augmentation de l’impôt car la suppression de ce 0,3 pour cent avait été promise pour fin 2017, mais mathématiquement cela n’aura pas d’effets sur les prix et pas de coûts de transmission pour l’économie.

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur la fluctuation possible de l’âge de la retraite?
Les milieux économiques sont favorables à un assouplissement du départ à la retraite entre 62 et 70 ans. Il est bien sûr prévu que plus la personne prend sa retraite tard, plus elle améliore sa rente. Actuellement, un tiers des actifs prend sa retraite avant 65 ans (souvent une année avant), un tiers à 65 et un tiers après 65 ans. Selon une étude auprès de l’OFAS, une grande partie des personnes qui prennent leur retraite avant l’âge de référence estime avoir assez de moyens pour le faire, mais il ressort surtout que celles-ci travailleraient plus longtemps si leur savoir-faire et leur expérience professionnelle étaient valorisés; ainsi, par manque de valorisation, ceux qui ont le choix préfèrent partir avant 65 ans.

Il faut aussi souligner l’importance de la démographie au niveau mondial selon les constats de l’ONU. Le changement est complet, la population doit s’habituer au fait que dans une dizaine d’années, la population sera très majoritairement âgée, ce qui aura de grosses répercussions dans le secteur des assurances sociales, de la santé et du marché du travail. Or, il faut néanmoins admettre qu’en cette période de campagne électorale, personne n’ose dire qu’il faudra un jour travailler plus longtemps. À l’avenir, il manquera de la main d’oeuvre et donc des cotisants à l’AVS; il est par conséquent primordial de prendre les bonnes options pour l’avenir, qui permettent d’assurer non seulement le financement de l’AVS, mais aussi le maintien de notre économie, de notre production grâce aux actifs sur le marché du travail!

L’entretien avec Martin Kaiser a été publié dans le Journal CNCI.