L’année des employeurs 2020

A en juger par le nombre de contaminations, d’hospitalisations et de décès, la Suisse ne se porte pas très bien en comparaison internationale, ni par rapport à la première vague. Dans l’ensemble, comment évaluez- vous la gestion de la crise par le Gouvernement jusqu’ici?

Ph. Bauer: Je trouve que le Conseil fédéral a jusqu‘à Noël relativement bien géré la crise. Je relève en effet, que même si durant la 2ème vague, les chiffres d’infection sont montés beaucoup plus que durant la première, on a réussi à éviter l’effondrement du système de santé et de l’économie. Au niveau institutionnel, la relation entre la Confédération et les cantons pose passablement de problèmes. Lors de la première vague, les cantons se plaignaient que la Confédération ait pris le lead, mais aujourd’hui on constate qu’ils sont souvent débordés dans leurs relations avec les autres cantons ou aveccertaines des tâches qu’ils ont reprises. Notre système parlementaire montre également ses limites quand il s’agit de décider en urgence. En situation de grave crise, c’est en effet le Conseil fédéral qui prend les choses en main et décide ; le parlement se contentant de ratifier les mesures, notamment financières ou sanitaires prises.

C. Platzer: Au début, je trouvais que le Conseil fédéral intervenait judicieusement avec les premières mesures et l’imposition
du confinement. Mais après les premiers assouplissements, il a eu la main de moins en moins heureuse. Voilà pourquoi j’ai ensuite considéré la gestion de la crise par le Gouvernement de manière très critique. A mon avis, le DFI et l’OFSP en particulier n’ont pas bien fait leur travail. Une stratégie claire et rationnelle de longue durée fait totalement défaut.

Pouvez-vous développer?

C. Platzer: Le transfert des responsabilités aux cantons au début de l’été correspond exactement à ce que le Conseiller fédéral Berset avait voulu éviter dès avril grâce à une stratégie uniforme: un patchwork de mesures diverses et le tourisme gastronomique entre cantons. La Confédération aurait dû reprendre les rênes, au plus tard lorsque les chiffres de contagion ont explosé. On a vu venir la deuxième vague, qui est même arrivée plus vite et plus violemment. Avec les précautions nécessaires, grâce aux expériencesfaites dans le secteur de la santé et une meilleure protection des personnes vulnérables, on aurait pu éviter les fermetures d’entreprises. De même, il est absolument incompréhensible que notre système de santé, supposé le meilleur et le plus cher, atteigne si rapidement ses limites lors d’une pandémie.

Du point de vue des employeurs, qu’ya-t-il de plus important à faire pour maîtriser la crise?

C. Platzer: Je pense qu’il y a également un manque de cohérence dans les mesures de soutien aux entreprises. Lors du premier confinement, quand elles étaient encore dans une situation éco- nomique relativement confortable, les prêts étaient accordés immédiatement. Mais plus tard, quand de nombreuses entreprises étaient déjà très affaiblies, le Conseil fédéral n’a quasiment plus réagi. Les mesures destinées aux cas de rigueur n’étaient pas prévues à l’origine pour une deuxième vague et un deuxième confinement. Là aussi, le fédéralisme a atteint ses limites. Pour les entreprises particulièrement touchées par le nouveau (semi-) confinement, comme les studios de fitness ou les restaurants, d’autres mesures de soutien devraient être prises. Le Conseil fédéral doit assumer la responsabilité des dommages causés par ce deuxième semi-confinement. La situation est explosive et la
confiance s’effrite.

Ph. Bauer: Du point de vue de la restauration que je connais bien, ayant été durant près de trente ans avocat-conseil de
GastroNeuchâtel, je peux confirmer que la situation actuelle dans la branche est explosive.

Que faudrait-il faire mieux comprendre au Conseil fédéral?

C. Platzer: Les inégalités de traitement et les injustices doivent être corrigées. Les entreprises doivent être indemnisées de manière égale dans tous les cantons. La Confédération devrait en fait soutenir directement les branches, surtout par des contributions à fond perdu et des compensations pour les coûts fixes non couverts. Soit dit en passant, rien ne prouve à ce jour que les restaurants sont des moteurs de la pandémie. Au contraire: nos plans de protection fonctionnent. Le secteur de la restauration est vu uniquement comme un moyen de limiter les contacts. Le paradoxe est que les contacts se déroulent désormais tout bonnement dans la sphère privée, sans plans de protection. Une étude du professeur Konstantin Beck, économiste de la santé, ainsi que des enquêtes de GastroSuisse et les données de l’OFSP confirment l’efficacité des plans de protection de l’hôtellerie- restauration.

La branche de la restauration peutelle, à elle seule, offrir quelque chose pour remédier à la situation?

C. Platzer: Il est malheureusement trop tard pour changer grand chose au système des aides aux cas de rigueur, car certains cantons ont déjà commencé à effectuer des paiements. De plus, certains milieux pensent qu’on pourrait profiter de la pandémie pour réorganiser le système. C’est une erreur, car cela toucherait enparticulier de très nombreuses bonnes entreprises ayant des coûts fixes élevés ou beaucoup de capital emprunté. C’est au marché de décider qui doit survivre, mais pour l’instant, le marché ne joue pas du tout.

Et quelle est la situation de l’industrie horlogère?

Ph. Bauer: L’horlogerie a eu la grande chance de ne pas avoir été victime d’un véritable Lockdown. Son souci le plus important concerne la situation économique des grand marchés extérieurs dont l’industrie horlogère dépend. Il faut aussi différencier la situation des grands groupes qui supportent assez bien la crise, et celle des sous-traitants qui sont beaucoup plus touchés notamment en matière de liquidités. En simplifiant, je dirais que la situation n’est pas bonne, mais pas catastrophique non plus et que l’état général des groupes et des entreprises est très contrasté. La crise a de plus plutôt renforcé une situation déjà difficile. Une amélioration de la situation dépendra beaucoup du fait que le reste du monde arrive à combattre le virus et que sur les marchés principaux, les clients achètent de nouveau nos montres.

Au Conseil des États, avez-vous déjà abordé la question de l’après crise et des éventuelles mesures à prendre?

Ph. Bauer: Oui, c’est un thème discuté. Les réflexions sur le fonctionnement du parlement, notamment sur l’opportunité et la participation à des séances de commission virtuelle ou le vote à distance, se sont intensifiées. Il y a également des questions concernant l’implication du parlement dans des décisions du Conseil fédéral, notamment en lien avec les expériences faites lors de la «situation extraordinaire» (première vague), durant laquelle le parlement a été exclu du jeu démocratique durant presque six semaines. Ce problème de fonctionnement des institutions poli- tiques est toutefois à mon sens inhérent à la situation de crise grave que nous vivons.

C. Platzer: Il y a eu régulièrement des consultations avec les cantons ces derniers mois, mais en général, il s’agissait d’exercices alibis, juste pour la galerie, car la position des cantons était le plus souvent ignorée. Je suis aussi d’accord sur le fait que nous devons repenser notre façon de traiter la pandémie. Nous devons enfin trouver des moyens de combattre le virus sans pour autant paralyser des branches entières et, en fin de compte, des pans entiers de l’économie.

Parlons du rôle de l’UPS: quelles sont vos expériences, notamment dans la crise actuelle?

Ph. Bauer: Dans les deux vagues de la pandémie, l‘Union Patronale Suisse a parfaitement rempli ses tâches et joué son rôle en regroupant les différentes associations et en étant de ce fait l’in- terlocuteur patronal du Conseil fédéral. Au niveau cantonal, Neuchâtel a fait la même chose afin que l’économie parle d’une seule voix en particulier vis-à-vis du Conseil d’État et de l’administration. J’observe aussi que la crise a permis aux diverses associations membres de se rendre compte qu’elles avaient les mêmes intérêts vis-à-vis du «partenaire social», qui ce printemps ne s’est pas du tout comporté comme un partenaire. La crise a aussi permis aux entreprises de réaliser l’importance des associations patronales.

C. Platzer: Pour nous, la situation est un peu différente, car le secteur de l’hôtellerie-restauration est l’un des plus gravement touchés. Il est compréhensible que l’UPS, en tant qu’organisation faîtière, aborde les questions de manière globale. Mais j’ai aussi constaté son grand intérêt pour les moyens de soutenir notre branche, ce que j’apprécie. Il est évident que le secteur de la restauration et ceux de l’événementiel et du tourisme, qui lui sont directement liés, souffrent énormément de la crise.

Donneriez-vous également des conseils aux employeurs?

C. Platzer: Ces dernières années, il y a eu beaucoup de désaccords entre les trois faîtières de l’économie. Cela affaiblit l’économie et nuit aussi, d’après mon expérience, à la crédibilité de la politique. Voilà pourquoi j’aimerais voir à nouveau plus d’unité à l’avenir. C’est une condition importante pour obtenir une meilleure coopération entre les associations, les organisations faîtières et leurs membres.

Ph. Bauer: Dans l‘horlogerie, nous avons deux associations: la Fédération horlogère qui s’occupe des problèmes économiques et la Convention patronale qui est compétente en matière de droit du travail (CCT), de santé et de sécurité au travail, de formation professionnelle et de promotion de l’image de la branche. De plus, la structure de la branche est très peu homogène. Au niveau des faîtières de l’économie, notre souhait vis-à-vis de l’Union patronale suisse est donc de renforcer davantage sa visibilité, son rôle et son influence en Suisse romande.

Depuis le rejet de l’initiative sur la limitation le 27 septembre 2020, l’accord-cadre entre la Suisse et l’UE est à nouveau à l’ordre du jour. Comment évaluez-vous ses chances?

C. Platzer: D’abord, nous sommes clairement d’avis que les accords bilatéraux doivent être poussés plus loin et adaptés si nécessaire à la situation actuelle. Qu’il faille pour cela un accord-cadre ou que cela puisse se faire d’une autre manière est sans importance. L’essentiel est de garder le cap et de poursuivre les négociations. Les bonnes relations avec l’UE sont très importantes pour le secteur de la restauration également.

Ph. Bauer: Du point de vue de l’horlogerie aussi, les bonnes relations avec l’Union Européenne sont indispensables et un accord cadre est nécessaire. Il s’agit maintenant de savoir à quelles conditions il est possible de le conclure. Je me demande d’ailleurs si les conditions accordées par l’UE à la Grande-Bretagne dans le cadre du Brexit pourraient mener à certaines modifications de l’accord cadre et ainsi gagner une majorité du peuple et des cantons à le soutenir. Le thème du pouvoir de la Cour de Justice requiert à mon avis une solution plus satisfaisante.

Que souhaitez-vous pour 2021? Que voudriez-vous que la Suisse réalise?

C. Platzer: Je ne veux pas d’une «nouvelle normalité». J’espère que nous sortirons de cette crise sans avoir à nous habituer en permanence à des restrictions comme le port du masque ou la distance sociale. Nous devrions laisser un monde meilleur à nos enfants, même après la crise.

Ph. Bauer: Pour 2021 je souhaite à notre économie un peu plus de prévisibilité plutôt que de devoir toujours réagir au jour au jour – et ceci est d’ailleurs valable aussi au niveau politique.