Home → Mieux utiliser le potentiel de main-d’œuvre indigène
Mieux utiliser le potentiel de main-d’œuvre indigène
La libre circulation des personnes en provenance de l’UE est un facteur de succès important pour la Suisse. Il est crucial que les entreprises suisses aient accès à la main-d’œuvre étrangère, en particulier au vu de l’évolution démographique et d’une pénurie de main-d’œuvre croissante. Cependant, l’immigration qui en découle préoccupe et inquiète la population suisse.
Que faut-il faire? Il est important d’utiliser le potentiel de main-d’œuvre indigène de manière optimale. Mieux la Suisse y parviendra, moins elle sera dépendante de la main-d’œuvre étrangère. Dans le présent document, nous établissons les faits et examinons les défis que doit relever le marché suisse du travail. Avec des exemples concrets, nous détaillons ce que l’économie entreprend pour utiliser au mieux le potentiel de main-d’œuvre indigène. Afin qu’elle y parvienne encore mieux, il faut non seulement que les entreprises s’engagent, mais également de bonnes conditions-cadre. Le politique doit les améliorer.
Le présent document a été rédigé en collaboration avec economiesuisse, sous la houlette de Simon Wey, chef économiste à l’Union patronale suisse (UPS), et de Rudolf Minsch, chef économiste, président suppléant de la direction et responsable du département Politique économique générale et Formation chez economiesuisse.
Position de l’UPS et d’economiesuisse
- La libre circulation des personnes avec l’UE et la voie bilatérale sont globalement un succès. Elles nous ont apporté la prospérité et une qualité de vie élevée. La forte immigration de ces dernières années préoccupe toutefois la population, une réalité qui doit être prise au sérieux. Il s’agit d’élaborer des solutions pour réduire l’immigration sans compromettre la libre circulation des personnes.
- Un levier important est d’utiliser encore mieux le potentiel de main-d’œuvre indigène. La grande majorité des entreprises font déjà beaucoup pour atténuer la pénurie de main-d’œuvre actuelle et pour utiliser au mieux le potentiel de main-d’œuvre indigène.
- Un autre levier important est d’accroître la productivité. La Suisse doit conserver sa capacité d’innovation et les entreprises rester compétitives. Pour ce faire, il faut améliorer les conditions-cadre. L’État doit créer une marge de manœuvre, supprimer des obstacles bureaucratiques, devenir lui-même plus productif et ralentir fortement sa croissance.
- Pour que le potentiel de main-d’œuvre indigène puisse être encore mieux utilisé, l’économie a besoin du soutien des milieux politiques. Il faut améliorer les incitations au travail. Il faut de meilleures conditions-cadre pour qu’il vaille la peine de travailler davantage et plus longtemps. Les horaires de travail doivent être assouplis. La loi rigide sur le travail doit être adaptée aux préférences actuelles des travailleurs et la formation axée davantage sur les besoins du marché du travail.
Situation actuelle
La libre circulation des personnes avec l’UE et la voie bilatérale sont un succès pour la Suisse. Elles ont apporté de la prospérité et une qualité de vie élevée. L’immigration préoccupe toutefois la population, une réalité qui doit être prise au sérieux. L’immigration nette a augmenté ces dernières années. L’immigration en provenance de l’UE vers le marché du travail représente une partie des flux migratoires totaux.
Il existe essentiellement deux solutions pour atténuer la forte immigration nette en provenance de l’UE:
- fixer une limite étatique à l’immigration en provenance de l’UE;
- remplacer la main-d’œuvre de l’UE par du personnel indigène.
La première solution correspond à l’orientation de l’initiative dite «pour la durabilité», qui entend limiter la population de la Suisse à 10 millions de personnes et exige en outre la résiliation de la libre circulation des personnes. Pour l’économie, cette approche n’est pas la bonne. D’une part, parce qu’elle est trop statique et bureaucratique. L’initiative ignore en effet l’évolution démographique et son influence sur le marché du travail et l’économie suisses. D’autre part, l’initiative menace la voie bilatérale, car la résiliation de la libre circulation des personnes impliquerait la disparition de l’ensemble des accords bilatéraux I en raison de la clause guillotine.
La deuxième solution correspond à l’orientation de l’économie: l’immigration en provenance de l’UE cible le marché du travail. Par conséquent, il faut agir au moyen de mesures axées sur celui-ci, et plus précisément sur l’offre et la demande de main-d’œuvre dans notre pays. Il ne faut pas négliger des facteurs déterminants tels que l’évolution démographique et économique. Un levier important pour réduire le besoin de main-d’œuvre étrangère réside dans l’utilisation du potentiel de main-d’œuvre indigène.
Le présent document montre comment le marché du travail suisse a évolué ces dernières années (cf. point 2). Les chiffres montrent que le marché du travail suisse, d’essence libérale, fonctionne très bien. Les exemples cités dans le présent document viennent étayer ce constat. Jusqu’ici, les entreprises en Suisse ont créé un grand nombre de postes attractifs et ont réagi régulièrement avec flexibilité aux changements sociaux et aux besoins des travailleurs. Continuer à trouver suffisamment de personnes pour que ces postes soient occupés constitue cependant un défi de taille. La pénurie de main-d’œuvre, déjà fortement ressentie aujourd’hui, va encore s’accentuer en raison de l’évolution démographique (cf. point 3). L’économie est consciente de ce défi. Loin de rester inactives, les entreprises ont déjà pris de nombreuses mesures (cf. point 4). C’est au tour des politiques de soutenir les efforts de l’économie (cf. point 5). Il faut accroître la productivité et utiliser encore mieux le potentiel indigène si nous souhaitons freiner l’immigration liée au marché du travail sans occasionner de dommages économiques massifs et perceptibles individuellement. Au lieu de limiter strictement l’immigration, la politique suisse devrait faire ce qui est en son pouvoir à l’échelle nationale. En avril 2023, l’Union patronale suisse a présenté
un plan d’action concret visant à mieux utiliser le potentiel de main-d’œuvre indigène.
Le marché du travail suisse: les faits
En 2010, l’Europe était en crise: la crise de l’euro s’est propagée et plusieurs pays de la zone euro menaçaient de devenir insolvables. En réaction, l’Union européenne a décidé de mettre en place d’importants programmes d’aide en faveur des États en difficulté. La Banque centrale européenne est intervenue en rachetant des obligations des pays concernés. La crise de la dette a plongé la zone euro dans une crise économique qui s’est souvent traduite par une envolée du chômage. Pour les jeunes en particulier, les années de crise ont été une période sombre, les perspectives sur le marché du travail étaient moroses en raison de la situation économique. La Grèce et l’Espagne l’illustrent bien: plus de la moitié des jeunes y ont cherché du travail en vain pendant la crise. Les jeunes Italiens ont aussi connu des difficultés; en France et en Suède, un jeune sur quatre était au chômage.
Taux de chômage des jeunes bas en Suisse
Il est difficile d’imaginer un taux de chômage des jeunes aussi élevé en Suisse. Notre pays n’a pas traversé ce genre d’épreuves ces dernières années. Le taux de chômage des 15-24 ans se maintient à un niveau modéré depuis l’an 2000. Ce n’est pas une question de chance: si le taux de chômage des jeunes est bas en Suisse depuis des années, cela s’explique en grande partie par la qualité des conditions-cadre et des entreprises. Ces dernières ont du succès et peuvent offrir aux jeunes un large éventail de possibilités professionnelles prometteuses. La qualité des conditions-cadre et le système de formation dual y contribuent d’ailleurs largement.
Figure 1: Taux de chômage des 15-24 ans (OCDE)
Le marché du travail libéral de notre pays a bien fonctionné au cours des deux dernières décennies. Il a pu s’appuyer sur une croissance économique solide. Malgré plusieurs crises, les entreprises ont pu créer des emplois attractifs et bien rémunérés. Ce faisant, elles ont aussi tenu compte de l’évolution des besoins des travailleurs. L’exemple positif du faible taux de chômage des jeunes en est un parmi d’autres. D’autres chiffres relatifs au marché du travail mettent en évidence ce succès. La comparaison avec d’autres pays montre que celui-ci ne va pas de soi.
Faible taux de chômage en Suisse
Les jeunes ne sont pas les seuls à profiter de très bonnes possibilités en matière d’emploi. En Suisse, le taux de chômage des personnes âgées de 15 à 64 ans se situe à 4,4 pour cent en moyenne depuis l’an 2000. Ce taux est l’un des plus bas du monde. Le taux de chômage moyen des 38 États membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) avoisine les 7 pour cent.
Une participation élevée au marché du travail
Depuis l’an 2000, la participation au marché du travail de la population suisse en âge de travailler se monte à 82,4 pour cent en moyenne. La part des personnes intégrées dans le marché du travail suisse est ainsi nettement plus élevée que la moyenne des pays de l’OCDE (71 pour cent). Ce taux d’intégration était déjà élevé en Suisse en 2000 et a continué d’augmenter.
Davantage de femmes sur le marché du travail
L’une des raisons de la forte participation au marché du travail est la meilleure intégration des femmes. En 2022, le taux de participation au marché du travail atteignait 79,2 pour cent, en hausse de 7,6 points depuis 2000. Le taux d’intégration des femmes en Suisse en 2022 était plus de 13 points supérieur à la moyenne des pays de l’OCDE.
Davantage de travailleurs à temps partiel avec des taux d’activité plus élevés
C’est surtout l’intégration croissante des femmes qui a fait augmenter la proportion de travailleurs à temps partiel. En 2023, elle se situait à 37,6 pour cent. Cette hausse s’explique notamment par le fait que de nombreuses femmes, et en particulier les mères, reprennent d’abord à temps partiel lorsqu’elles réintègrent le marché du travail, souvent avec un taux d’activité bas. La proportion de travailleurs à temps partiel avec des taux d’activité faibles est restée globalement stable, mais en 2023, on comptait encore 23 pour cent de femmes avec un taux d’activité inférieur à 50 pour cent. Chez les hommes, ce sont à peine 8 pour cent.
Figure 2: Part des temps partiels (OFS)
De bonnes chances pour les travailleurs âgés
Le marché du travail offre de nombreuses opportunités, et pas seulement pour les jeunes. Les travailleurs âgés ont également de bonnes chances sur le marché du travail suisse. L’idée largement répandue selon laquelle les seniors ne seraient pas demandés dans les entreprises est volontiers étayée dans les médias par des cas isolés. Les chiffres montrent une autre image: l’intégration au marché du travail des 55-64 ans est élevé en comparaison internationale (77,5 pour cent en 2023). La probabilité d’être licencié est plus faible que dans les autres tranches d’âge. Seuls 4 pour cent des personnes sans activité lucrative citent le manque d’opportunités sur le marché du travail comme raison de ne pas chercher un emploi. Cela montre qu’il y a un écart flagrant entre la perception et la réalité[1].
Exemple de focus50plus
Lancée en 2021 par l’Union patronale suisse, l’initiative «focus50plus» encourage le dialogue ciblé entre les milieux économiques, scientifiques et politiques. Cette plateforme aux multiples facettes contredit les clichés sur les collaborateurs âgés et permet d’acquérir de nouvelles connaissances et méthodes pour une bonne gestion des générations en entreprise, en rendant le tout accessible à de larges cercles. Pour ce faire, elle se réfère aux exigences en constante évolution du cadre politique, juridique et économique.
En collaboration avec des partenaires issus des milieux économiques, scientifiques et politiques, les entreprises sont soutenues dans leur efforts pour promouvoir l’employabilité des collaborateurs âgés et la mise en évidence des avantages d’une collaboration fructueuse entre les générations dans l’économie. Les travailleurs de la génération des 50+ sont en effet gages d’expérience, de compétences et de continuité pour une entreprise.
Dans la mesure où un nombre croissant de baby-boomers partent à la retraite et que la relève est moins nombreuse, la pénurie de main-d’œuvre qualifiée est une réalité et un sujet très discuté dans la plupart des secteurs. Les employeurs, mais aussi les employés, sont invités à faire preuve d’ouverture à l’égard de nouveaux modèles de travail – qu’il s’agisse de travailler dans des équipes intergénérationnelles, de partager des postes ou de travailler à temps partiel. Les employeurs doivent se défaire de l’image selon laquelle les travailleurs âgés seraient onéreux et peu enclins à l’innovation, et combattre le couperet de l’âge. Quant aux travailleurs âgés, ils doivent être capables d’accepter des économies salariales, de revoir leurs responsabilités à la baisse, et de rester ouverts à la nouveauté.
Cliquez ici pour accéder au site web de Focus50plus.
Exemple de Syngenta
Vous pouvez voir ici comment Syngenta encourage concrètement les travailleurs âgés.
La plupart des participants étaient satisfaits
Dans l’Enquête suisse sur la santé (ESS) de 2022, plus de quatre personnes actives sur cinq ont déclaré être satisfaites de leur travail. En comparaison européenne, les emplois en Suisse offrent une grande marge de manœuvre individuelle, des possibilités de formation et de formation continue intéressantes ainsi que des perspectives d’évolution et de codécision[2]. La dernière enquête suisse sur la population active (ESPA) montre en outre que près de la moitié des travailleurs ont des horaires de travail flexibles.
Les salaires, la prospérité et le temps libre progressent
Les salaires ont augmenté depuis l’an 2000: l’indice des salaires réels avait progressé de plus de 12 pour cent en 2023. L’enquête du Centre de recherches conjoncturelles (KOF), qui se fonde sur la masse salariale assujettie à l’AVS, révèle une évolution encore meilleure des salaires réels. Pour ces deux indices, la hausse était même plus importante avant la récente baisse due à l’inflation. Ces dernières années ont également montré l’importance de la stabilité des prix pour le pouvoir d’achat des travailleurs. L’inflation marquée a entraîné une baisse des salaires réels ces trois dernières années. Les salaires sont extrêmement hauts en comparaison internationale. À cela s’ajoute que le pouvoir d’achat international des consommateurs suisses est exceptionnel, aussi grâce au franc fort. Pas moins de 72 pour cent des actifs ont le sentiment d’être correctement rémunérés pour leur travail[3]. Grâce à l’évolution positive de l’économie, la valeur créée par habitant a augmenté de même que le temps libre[4].
Les chiffres relatifs au marché du travail montrent que, en Suisse, les entreprises comme les travailleurs font un excellent travail. La majorité des personnes sont intégrées dans le marché du travail et sont satisfaites de leur travail et de leur rémunération. Les entreprises sont notamment parvenues, au cours des vingt dernières années, à adapter le travail à l’évolution des besoins des travailleurs. Dans la situation actuelle, le potentiel indigène est déjà assez bien utilisé.
La pénurie de main-d’œuvre sera un grand défi
On peut se demander, bien entendu, si la success-story se poursuivra à l’avenir. Au cours des dernières décennies, la Suisse a bénéficié d’un dividende démographique: la génération du baby-boom était jusqu’ici en âge de travailler. Les entreprises disposaient ainsi d’un important réservoir de main-d’œuvre. Cette évolution s’est inversée en 2020. Les baby-boomers quittent progressivement le marché du travail pour prendre leur retraite et, comme le taux de natalité est bas depuis longtemps, leur départ ne peut pas être compensé par les jeunes qui prennent la relève. Cela a un impact négatif sur l’offre de main-d’œuvre indigène[5].
Qu’implique cette évolution pour le marché du travail suisse? La Suisse connaît déjà une pénurie de main-d’œuvre. À court terme, ce sera plutôt l’évolution de la conjoncture qui déterminera dans quelle mesure la pénurie s’accentuera ou s’atténuera. Mais à moyen et à long termes, la pénurie de main-d’œuvre s’aggravera structurellement en raison de l’écart entre l’offre et la demande de travail: l’offre de main-d’œuvre indigène va continuer de diminuer sous l’effet de l’évolution démographique. La demande, quant à elle, devra augmenter malgré une hausse de la productivité. Sinon, il ne sera pas possible d’accroître la prospérité par habitant comme la Suisse l’a fait ces deux dernières décennies.
Pourquoi l’économie utilise-t-elle le PIB par habitant comme valeur-cible?
Pour calculer la demande supplémentaire, l’économie utilise le produit intérieur brut (PIB) par habitant. L’hypothèse est que le PIB par habitant poursuivra sur la lancée de ces deux dernières décennies. On peut se demander pourquoi le PIB par habitant devrait continuer de progresser. En effet, la Suisse affiche déjà une prospérité élevée en comparaison internationale. Cela s’explique par l’évolution démographique: tandis que le nombre d’actifs diminue, le nombre de non-actifs et de retraités augmente. Cela signifie que pour que le PIB par habitant de l’ensemble de la population reste constant, la performance économique de la population active doit augmenter. Pour garder un PIB par habitant constant, les actifs devraient fournir davantage d’efforts sans indemnisation supplémentaire, puisqu’ils devraient redistribuer beaucoup plus à la population inactive. C’est ainsi seulement que la prospérité pourrait rester constante chez les retraités, par exemple. Cela réduit toutefois la propension des personnes actives à fournir cette prestation supplémentaire. Conclusion, seul un PIB par habitant qui croît crée les bonnes incitations pour les actifs, sans que la prospérité du reste de la population ne diminue.
Combien de travailleurs manque-t-il?
L’économie a élaboré un scénario pour l’évolution de l’offre et de la demande de travail sur le marché de l’emploi ces dix prochaines années. L’estimation de l’offre se fonde pour l’essentiel sur le scénario moyen de l’évolution démographique établi par l’Office fédéral de la statistique (OFS). Les calculs montrent que d’ici à 2035, l’offre indigène diminuera de quelque 297 000 employés à temps plein. D’un autre côté, 163 000 employés à temps plein supplémentaires seraient nécessaires pour maintenir l’évolution de la prospérité de ces dernières années – en admettant que la productivité du travail progresse de manière linéaire. En résumé, l’économie estime que, dans dix ans, il manquera quelque 460 000 employés à temps plein en Suisse.
Figure 3: Prévisions pour le marché du travail suisse d’ici à 2035
Comment combler cette lacune?
Il existe deux grands leviers pour agir: mieux utiliser le potentiel de main-d’œuvre indigène et accroître la productivité. Malgré ces efforts au plan national, il est indéniable que nous continuerons à dépendre de l’immigration de main-d’œuvre, c’est-à-dire d’une immigration liée au marché du travail. Celle-ci doit toutefois rester subsidiaire et le plus socialement acceptable possible.
En ce qui concerne une meilleure utilisation de la main-d’œuvre indigène, l’attention se focalise sur les femmes, en particulier les mères, ainsi que sur les citoyennes et citoyens de 65 ans et plus. C’est là que le potentiel inexploité est le plus important – et les mauvaises incitations aussi.
Les mères recherchent avant tout la possibilité de travailler à temps partiel et d’avoir des horaires de travail flexibles, ainsi que de mieux concilier famille et travail. À cet égard, la mise à disposition d’un accueil extrafamilial des enfants abordable et accessible est décisif. Les incitations fiscales sont également importantes – on peut penser à l’imposition individuelle et à la progressivité de l’imposition.
Pour ce qui concerne une meilleure utilisation du potentiel des travailleurs de 65 ans et plus, il existe de nombreux leviers, à commencer par la valorisation de leur expérience et les conditions-cadre au sein des entreprises, mais aussi le cadre étatique. Il doit être financièrement intéressant d’exercer une activité lucrative au-delà de l’âge ordinaire de la retraite.
Mais même si le potentiel que représentent les mères et les travailleurs de 65 ans et plus est nettement mieux utilisé, un déficit de main-d’œuvre considérable perdurera. Pour le réduire, il importe d’accroître la productivité et l’efficacité. Un grand potentiel existe notamment dans le domaine de la numérisation des processus administratifs et de la création d’entreprises: dans ce domaine, les pays scandinaves en particulier, mais aussi Singapour et la Nouvelle-Zélande, ont deux longueurs d’avance sur la Suisse.
L’économie estime que des mesures appropriées permettraient de pourvoir 48 000 équivalents temps plein par des femmes et 37 000 par des personnes de 65 à 69 ans. D’autres potentiels existent, par exemple chez les personnes souffrant d’un handicap physique ou les migrants. D’un autre côté, une hausse de la productivité supérieure à la moyenne permettrait de réduire la demande de près de 63 000 équivalents temps plein.
La réponse des milieux économiques
Depuis quelques années, les entreprises voient que la main-d’œuvre se raréfie. Elles ont plus de mal à trouver les profils recherchés et à pourvoir les postes vacants. La majorité des secteurs sont déjà affectés par cette pénurie. C’est pourquoi on parle désormais moins de pénurie de main-d’œuvre qualifiée que de pénurie de main-d’œuvre en général. Compte tenu de l’évolution démographique, le problème s’étendra à des secteurs aujourd’hui épargnés.
L’une des forces des entreprises suisses est leur capacité à s’adapter rapidement à l’évolution des conditions-cadre. Le problème de la pénurie de main-d’œuvre croissante a été identifié, depuis longtemps, par de nombreuses entreprises, en particulier dans les secteurs fortement touchés. Dans le cadre d’une enquête menée par economiesuisse en mai 2024, près des deux tiers des 448 entreprises participantes ont indiqué avoir déjà pris une ou plusieurs mesures.
Figure 4: Mesures prises par les entreprises (enquête de mai 2024)
Exemple de la société Bossard
Bossard a élaboré un concept destiné aux seniors: l’entreprise offre à ses collaborateurs la possibilité d’adapter leur organisation quotidienne à l’évolution de leurs besoins et à leur bien-être individuel en termes de santé au cours des années précédant l’âge de référence officiel, en leur proposant du temps libre supplémentaire.
À partir de 60 ans, les collaborateurs de longue date à plein temps de Bossard SA peuvent adapter leurs conditions de travail à leur résistance et à leurs capacités physiques ou psychiques. Ceci sur une base volontaire et pour autant que la situation de l’entreprise le permette et que le supérieur hiérarchique direct donne son accord. Les collaborateurs concernés peuvent ainsi acquérir 52 jours de vacances supplémentaires, à prendre ponctuellement ou en bloc au cours de la même année civile. Ce faisant, leur salaire n’est pas réduit de 20 pour cent, comme cela devrait être le cas du point de vue arithmétique, mais de
10 pour cent seulement, les autres 10 pour cent de coûts salariaux étant généreusement pris en charge par l’employeur.
Proposer ce type de temps partiel en fin de carrière est judicieux pour conserver les seniors jusqu’à l’âge de référence en tenant compte de leurs besoins. La société, qui compte plusieurs collaborateurs ayant dépassé l’âge de référence, parvient ainsi à maintenir leur longue et précieuse expertise au sein de l’entreprise. Cela peut prendre la forme d’un emploi flexible à temps partiel ou d’un emploi avec un salaire horaire, par exemple.
Cliquez ici pour accéder au site web de Bossard.
Formations initiale et continue
Près de la moitié des entreprises qui ont pris des mesures ont élargi leur offre dans le domaine des formations initiale et continue. Les entreprises jouent un rôle important dans la formation professionnelle initiale, car elles forment des apprentis et supportent une grande partie des coûts de formation. Pour remédier à la pénurie de main-d’œuvre, de nombreuses entreprises formatrices ont élargi leur offre ou prévoient de proposer davantage de places d’apprentissage. De plus, les entreprises soutiennent leurs collaborateurs en matière de formation continue, que ce soit financièrement ou en mettant à disposition leur propre programme. Dans ce domaine aussi, les entreprises entendent développer encore leurs prestations. À cela s’ajoute que davantage de collaborateurs font une reconversion et que des programmes voient le jour pour les personnes qui souhaitent se réorienter.
Conditions de travail
Plus d’un tiers des entreprises qui ont pris des mesures cherchent à rendre leurs conditions de travail plus attractives. Les salaires ne sont qu’un des aspects. D’autres leviers possibles sont la flexibilisation des horaires de travail, l’amélioration des perspectives de promotion interne et le transfert de davantage de compétences aux collaborateurs. Les entreprises mettent également tout en œuvre pour créer une ambiance de travail la plus agréable possible. Elles investissent dans des équipements et des outils de travail, tels qu’une infrastructure informatique moderne et performante par exemple. En proposant des avantages accessoires, les entreprises cherchent à être attractives pour de nouveaux collaborateurs. Les mesures visent aussi à garder les collaborateurs à long terme et à réduire les fluctuations.
Recrutement
Pour finir, un peu moins d’un tiers des entreprises ont mis en place des mesures dans le domaine du recrutement. L’objectif est d’utiliser de nouveaux canaux pour diffuser des offres d’emploi, notamment sur les réseaux sociaux. De même, les entreprises entendent mieux utiliser le réseau existant et l’étendre afin de pouvoir atteindre des collaborateurs potentiels. Les mesures mises en place dans ce domaine sont par exemple: des primes pour les collaborateurs qui contribuent à une embauche, des coopérations avec les universités et des échanges avec des filiales à l’étranger. Une minorité d’entreprises ont intensifié le recrutement à l’étranger ou tenté de débaucher des collaborateurs d’autres entreprises.
Les milieux politiques doivent également agir
Le marché du travail suisse est une success-story depuis l’an 2000. Ses très bons chiffres en attestent. Grâce à leur succès économique, les entreprises peuvent proposer des postes attractifs en Suisse. Par le passé, ces postes pouvaient être pourvus sans trop de difficultés, car il y avait suffisamment d’actifs disponibles. Aujourd’hui, la génération du baby-boom arrive progressivement à l’âge de la retraite et la relève est moins nombreuse. Évolution démographique oblige, la population active indigène diminue. La pénurie de main-d’œuvre actuelle ne fera que s’accentuer ces prochaines années.
Rester les bras croisés, c’est accepter une baisse de la prospérité et de la qualité de vie
Ces prochaines années, la Suisse devra encore mieux utiliser le potentiel de main-d’œuvre indigène. Sinon, la pénurie de personnel freinera de plus en plus l’économie. Sachant que l’évolution démographique entraînera une nette augmentation des dépenses dans certains domaines au cours des prochaines années, la Suisse ne peut pas se permettre de voir son économie paralysée. Rester les bras croisés, ce serait accepter une baisse de notre prospérité.
Les entreprises ne pourront pas surmonter le problème seules
De nombreuses entreprises ont reconnu le problème et luttent contre la pénurie de main-d’œuvre en prenant diverses mesures et en assumant leurs responsabilités. Mais il est clair que les entreprises ne pourront pas surmonter le problème seules. Afin qu’elles puissent encore mieux utiliser le potentiel indigène, les milieux politiques doivent également agir. Les conditions-cadre doivent être améliorées pour qu’il soit intéressant de travailler davantage et plus longtemps. Pour les ménages avec enfants, des structures d’accueil abordables doivent être mises en place. Il faut adapter la loi sur le travail, qui est rigide, aux préférences actuelles des travailleurs et axer davantage la formation sur les besoins du marché du travail. Un autre levier est d’accroître la productivité du travail. Cet objectif ambitieux ne pourra être atteint qu’à condition d’améliorer les conditions-cadre. La Suisse doit conserver sa capacité d’innovation et les entreprises rester compétitives. Pour ce faire, l’État doit créer une marge de manœuvre et réduire les obstacles bureaucratiques, devenir lui-même plus productif et ralentir fortement sa croissance. Enfin, les prévisions de l’économie montrent que toutes les mesures susceptibles d’être prises au niveau intérieur évoquées dans ce document ne suffiront pas à combler totalement la lacune ces prochaines années. Aussi est-il important qu’une immigration en phase avec les besoins reste possible. L’ampleur de ces besoins dépendra avant tout de la cohérence et du succès de la mise en œuvre des mesures mentionnées, et donc de la possibilité d’utiliser encore mieux le potentiel de main-d’œuvre indigène.
→Plan en huit points pour une meilleure utilisation du potentiel de main-d’œuvre indigène, de l’Union patronale suisse
→Mesures pour accroître la productivité du travail d’economiesuisse