Le vent réglementaire sur le marché du travail

3 décembre 2014 Revue de presse

La volonté du Conseil fédéral d’instaurer des quotas pour les femmes dans les conseils d’administration est contraire à la liberté d’organisation des entreprises.

Avec un taux de chômage avoisinant les 3 pour cent, la Suisse fait figure d’exception parmi les pays européens, confrontés, pour la plupart d’entre eux, à un chômage élevé et persistant. La primauté du partenariat social, le rôle subsidiaire de l’Etat, la simplicité et la légèreté de notre législation sur le travail sont au cœur de cette réussite. Or, ce modèle à succès d’inspiration libérale est en danger. Alors même que le souverain a sèchement rejeté les initiatives populaires «1:12 – Pour des salaires équitables» et «Sur les salaires minimums», qui ambitionnaient d’étatiser la fixation des salaires, un vent réglementaire souffle sur la Berne fédérale. Trois exemples pour illustrer cette dérive.

En dépit de l’acceptation de l’initiative «Contre l’immigration de masse», qui jette un voile d’incertitude sur nos relations avec l’Union européenne, le Conseil fédéral a mis en consultation, jusqu’à la fin de l’année, un projet visant à optimiser les mesures d’accompagnement à la libre circulation des personnes. Favoriser le recours à des contrats-type de travail contenant des salaires minimaux et faciliter l’extension du champ d’application des conventions collectives de travail, telles sont les mesures phare du projet. Une erreur de timing, doublée d’une erreur de stratégie: à quoi bon rajouter une couche de règlementation à un dispositif qui a fait ses preuves, comme l’attestent plusieurs rapports du Seco, et qui, depuis sa mise en œuvre en 2004, a progressivement été renforcé? L’article 8 de la constitution fédérale stipule que «L’homme et la femme ont droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale». Or, en croire l’Office fédéral de la statistique (OFS) les femmes gagneraient 18,9 pour cent moins que les hommes, et seule la moitié de cet écart s’expliquerait par des différences de fonction, de formation ou d’expérience.

Pour mettre fin à cette inégalité, le Conseil fédéral sort l’artillerie lourde: les entreprises qui emploient plus de 50 personnes devront procéder tous les trois ans à une analyse des salaires et faire contrôler son exécution par des tiers. Le résultat de ce contrôle devra être publié dans le rapport annuel de ces entreprises. Un projet de loi sera mis en consultation l’été prochain.

A travail égal, salaire égal: ce principe doit être appliqué, mais pas à n’importe quel prix. La mise en place d’une police des salaires qui viendrait fouiller dans les comptes des entreprises constitue une atteinte à la liberté entrepreneuriale.

Plutôt que de recourir à de telles mesures coercitives, le Conseil fédéral serait bien inspiré de vérifier la pertinence des outils statistiques utilisés par l’OFS en matière d’égalité salariale, comme le demande d’ailleurs un postulat qu’il vient d’accepter. Pour affiner son analyse, l’administration fédérale ne devrait-elle pas prendre en compte des indicateurs supplémentaires, tels l’expérience en matière de direction, les formations continues suivies et les connaissances linguistiques?

Les entreprises suisses seraient-elles misogynes? C’est ce que laisse entendre le projet de révision de la SA soumis à consultation il y a quelques jours par le Conseil fédéral, qui préconise que la direction et le conseil d’administration des grandes entreprises cotées en bourse comptent au moins 30 pour cent de femmes.

La réalité est tout autre. Comme le montrent plusieurs enquêtes récentes, les dirigeants des sociétés du Swiss Market Index sont unanimes à reconnaître les bienfaits des équipes mixtes sur la capacité d’innovation et la performance de leur entreprise. De la parole aux actes: ces cinq dernières années, la part des femmes dans les sphères dirigeantes de ces sociétés a progressé. Et cette progression va se poursuivre, puisque la plupart des chefs entreprises sondés se sont fixé des objectifs chiffrés, pour les années à venir, en vue d’augmenter la présence féminine dans leurs conseils d’administration.

Au vu de cette évolution, le Conseil fédéral fait fausse route: l’instauration de quotas obligatoires, qui constitue une entrave à la liberté d’organisation des entreprises, apparaît comme superflue. Introduire des salaires minimaux, créer une armée d’inspecteurs de l’égalité salariale, instaurer des quotas féminins: sous l’égide du Conseil fédéral, l’Etat tend à s’immiscer sournoisement dans le mode de fonctionnement des entreprises. Cette dérive, qui risque de mettre à mal non seulement la flexibilité mais également l’efficacité et la stabilité du marché du travail, doit être enrayée à tout prix.

L’article de Marco Taddei a été publié dans «l’Agefi».