La préférence indigène à la française

28 mars 2017 Nouvelles

Imposer l’usage du français sur les chantiers, c’est l’objectif de la «clause Molière» adoptée par plusieurs régions françaises. Gage de sécurité pour les uns, préférence nationale déguisée pour les autres, la mesure divise la classe politique de l’Hexagone. En Suisse, plurilinguisme oblige, une telle clause serait impraticable.

Alors que la campagne présidentielle bat son plein, la «clause Molière» s’invite dans le débat politique français. De quoi s’agit-il? La mesure vise à imposer le français sur les chantiers en inscrivant une clause dans les appels d’offres de marchés publics. Dans le cas où des salariés ne parleraient pas français, un interprète doit être engagé par l’entreprise.

La disposition concerne les 286’000 travailleurs détachés actifs en France, dont plus de la moitié seraient actifs dans le bâtiment. La ville d’Angoulême a fait œuvre de pionnier en instaurant la «clause Molière» en mai 2016. Rapidement, la nouvelle disposition a fait tache d’huile: plusieurs régions de l’Hexagone l’ont également adoptée au prétexte d’assurer la bonne compréhension des règles de sécurité sur les chantiers, mais aussi, de manière assumée, pour limiter le travail détaché en provenance des pays à bas salaire de l’UE et lutter contre la concurrence déloyale. La crainte du plombier polonais hante toujours les esprits.

Le monde politique est divisé. Le gouvernement s’oppose à cette mesure, jugée discriminatoire et inutile: aucun chiffre ne vient prouver qu’il y a plus d’accidents sur les chantiers lorsque les travailleurs ne parlent pas tous français. L’exécutif s’inquiète également d’un possible retour de bâton pour les 200’000 travailleurs détachés français actifs au sein de l’UE. La droite, en revanche, défend la clause de langue française: les collectivités qui l’ont adoptée sont tous dirigés par de élus Les Républicains. Et François Fillon réfléchirait à en faire une proposition nationale.

Les partenaires sociaux sont plutôt sceptiques. Les syndicats rejettent cette préférence nationale déguisée et donnent leur préférence à la «clause Zola», qui doit permettre de mieux protéger les travailleurs en renforçant les contrôles sur les chantiers. Le MEDEF, par la voix de son président, Pierre Gattaz, a récemment exprimé un avis mitigé sur cette clause. Tout en soulignant qu’il est préférable de parler français sur les chantiers pour des raisons de sécurité, l’organisation patronale redoute les risques de dérive nationaliste que comporte une telle contrainte.

En Suisse, l’introduction d’une clause serait non seulement impraticable – que faire dans les cantons bilingues? –, mais inutile, car notre pays, à la différence de la France, dispose d’un dispositif efficace pour lutter contre les abus liés aux travailleurs détachés: les mesures d’accompagnement à la libre circulation des personnes.