Personnes atteintes dans leur santé – un potentiel sous-estimé

4 mars 2015 Revue de presse

Tout le monde s’accorde à penser que le potentiel de main-d’œuvre indigène doit être mieux utilisé. En lien avec l’application de l’initiative sur l’immigration de masse, le conseiller fédéral Schneider-Ammann a récemment évoqué un potentiel dont il a rarement été question jusqu’ici: celui des personnes handicapées. Est-ce une bonne idée?

Jusqu’ici, on cherchait en vain dans le texte de l’initiative sur l’immigration de masse une référence au potentiel des personnes atteintes dans leur santé. Il y a peu, le conseiller fédéral Schneider-Ammann a pris un parti attendu de longue date par les milieux compétents. Selon lui, des mesures visant à favoriser l’employabilité des personnes en situation de handicap permettraient de mieux exploiter le potentiel de main-d’œuvre indigène. Dans le meilleur des cas, cette proposition lui a valu quelques moqueries de la part de commentateurs.

Bien à tort, cependant. Car la difficulté est essentiellement d’ordre conceptuel. Lorsqu’on pense aux handicapés, on imagine typiquement des personnes souffrant d’incapacités lourdes, dont on se demande aussitôt comment elles pourraient constituer un potentiel pour le marché du travail ? Mais cette représentation est fausse. Dans le contexte qui nous occupe, il n’est question en effet que de personnes “atteintes dans leur santé”. Dans une situation de crise personnelle, la capacité de l’individu à reprendre le contrôle de sa vie rapidement et donc à conserver son emploi dépend souvent des décisions prises au tout début du processus.

Lorsqu’un menuisier se blesse à la main et qu’un retour à son ancien poste ne s’avère plus possible après des mois de convalescence, il importe que son entourage réagisse de manière professionnelle. La priorité doit être donnée au maintien en emploi des personnes limitées dans leur santé. Si ce but est atteint, la main-d’œuvre pourra être préservée; dans le cas contraire, elle nous fera défaut et le problème de la pénurie de personnel s’aggravera, ce qui renforcera les pressions financières sur les assurances sociales.

Ensemble vers le succès

Le débat sur le maintien en emploi s’est amorcé en lien avec la nécessité urgente d’assainir l’assurance invalidité. Les réformes engagées dans cet esprit visent à transformer l’assurance de rente originelle en une assurance d’intégration. Les employeurs jouent le jeu depuis longtemps. Ainsi l’Union patronale suisse participe-t-elle déjà depuis plusieurs années à des projets pilotes de l’assurance invalidité. Une chose est sûre : les absences de longue durée pour cause de maladie, l’incertitude concernant le retour de la personne à son poste, le coût de la rotation du personnel et la perte de savoir-faire pèsent lourd dans la balance économique.

Les assureurs accidents et maladie ont également pris conscience très tôt de l’importance de cette thématique. Ils se sont engagés avec les employeurs et les organisations de handicapés dans divers projets pilotes de la Confédération. Tout ce monde tirant à la même corde, les résultats obtenus sont remarquables. En l’espace de dix ans, le nombre de nouveaux rentiers a ainsi diminué de plus de la moitié dans l’assurance invalidité. Grâce à la collaboration plus étroite entre les divers acteurs, des milliers de personnes ont pu être maintenues en emploi ou réinsérées sur le marché du travail dans ce même laps de temps.

Ce succès s’explique en grande partie par une prise de conscience que voici : les chances de préserver l’employabilité d’un collaborateur sont d’autant plus grandes que l’atteinte à la santé est identifiée rapidement au poste de travail et que des mesures appropriées sont prises au bon moment par l’employeur et ses partenaires (en particulier les assureurs privés et les assurances sociales). La personne atteinte dans sa santé bénéficie d’un accompagnement professionnel dès le premier jour, l’objectif étant de faire en sorte qu’elle puisse retourner à son travail ou être mutée à un autre poste plus adéquat.

Dans une telle situation, tout le monde est gagnant: la personne concernée aussi bien que les assurances ou l’employeur. L’image du “handicapé” vu comme un “potentiel de main-d’œuvre indigène” ne correspond pas vraiment à la réalité, car le défi consiste plutôt à ne pas laisser les personnes atteintes dans leur santé quitter le marché du travail. La priorité va donc au maintien de l’employabilité.

Se focaliser sur les ressources et non sur les déficiences

Le domaine de la réinsertion doit être considéré séparément. Il s’agit ici de réintégrer sur le marché de l’emploi primaire les personnes qui ont quitté le monde du travail en raison d’une maladie ou d’un accident. Sans surprise, l’expérience montre que ce processus est nettement plus compliqué. Néanmoins, la réadaptation peut être une vraie réussite, en ce sens que des perspectives professionnelles peuvent également s’ouvrir pour les personnes handicapées au sens habituel. L’important est alors de se concentrer sur les ressources et non sur les déficiences.

Au-delà de l’intérêt médiatique, les évolutions évoquées sont en cours depuis longtemps, si bien qu’une initiative commune forte regroupant plusieurs projets a vu le jour en 2015 sous l’égide de l’Union patronale suisse. L’association «Compasso» s’est fixé pour objectif de développer le potentiel des personnes atteintes dans leur santé. Elle regroupe un nombre toujours plus important d’employeurs et d’associations de branche, ainsi que la Conférence des offices AI, la Suva, la faîtière des assureurs privés et des organisations de handicapés comme «Intégration Handicap» ou «Pro Mente Sana». Leur but commun est de mettre à la disposition des employeurs un réseau solide et des outils encore plus pratiques.

«Compasso» entend développer considérablement son offre cette année encore. Rien que le nombre toujours élevé de nouveau rentiers AI (largement plus de 10’000 par an) montre que ce potentiel doit être encore mieux exploité à l’avenir, d’autant que près de la moitié d’entre eux sont des jeunes bien qualifiés qui ont quitté le monde du travail pour des motifs psychiques. Cette situation est non seulement lourde à supporter pour l’AI, qui doit impérativement être assainie, elle se traduit aussi par une augmentation des coûts dans le domaine des prestations complémentaires.

Le recours accru au potentiel des personnes atteintes dans leur santé ne suffira pas à résoudre le problème de la pénurie toujours plus criante de personnel qualifié. Le maintien en emploi n’en reste pas moins un élément important de la lutte contre la pénurie de main-d’œuvre. L’association «Compasso» financée par le secteur privé joue un rôle clé dans ce processus. Le Conseil fédéral – du moins en la personne du conseiller fédéral Schneider-Ammann – semble finalement en avoir pris conscience.

L’article de Martin Kaiser a été publié dans la «Neue Zürcher Zeitung».