Suisse – France: deux modèles sociaux aux antipodes

27 mai 2016 Nouvelles

Le contraste entre le droit du travail en Suisse et en France est énorme. En regard de la très contestée réforme qui est actuellement débattue dans notre pays voisin, trois atouts majeurs du modèle suisse sont frappants: la culture du consensus, les Conventions collectives de travail tenant compte des spécificités régionales et de branche ainsi que la législation sur le travail réduite à la portion congrue.

Alors que la France vit un psychodrame autour, une délégation de dix journalistes de la presse écrite hexagonale s’est récemment déplacée en Suisse, afin de mieux connaître le fonctionnement de notre marché du travail. Plusieurs comptes rendus de ce voyage studieux ont déjà été publiés dans des journaux de grand renom, tels le «Figaro», «Les Echos» et la «Tribune». Une lecture vivement conseillée aux camarades syndicalistes de notre pays.

Premier constat: en matière de droit du travail, la Suisse est un pays de l’étrange pour l’observateur français. Quel contraste en effet entre le modèle libéral helvétique, fondé sur le partenariat social, et l’étatisme jacobin à la française! Chez nous, ni Code de travail en béton, ni salaire minimaux, ni 35 heures. En France, la loi El Khomri (loi travail) vient d’être adoptée au Parlement sans vote (grâce au recours à l’article 49,3 de la constitution) et sans le soutien des partenaires sociaux…

Et les journalistes de s’extasier devant les chiffres du succès suisse. Avec un taux de chômage de 4,9 pour cent au sens du BIT à fin 2015 (10,2 pour cent en France), un salaire mensuel médian de 6189 francs suisses (environ 2200 euro en France) et ses quelques 13’000 jours de travail perdus annuellement pour cause de grève (2 millions de jours en France), la Suisse a de quoi faire rêver nos voisins.

Mais quels sont les clés de réussite du modèle suisse? Les reporters français identifient trois atouts majeurs. La culture du consensus tout d’abord. Alors qu’en France patronat et syndicats se regardent en chiens de faïence, en Suisse, depuis l’instauration de la Paix du travail en 1937, la concertation est devenue un dogme. Depuis cette date, le dialogue prime sur l’affrontement. D’où la volonté affirmée de se mettre autour d’une table et de négocier des solutions concrètes de compromis.

Deuxième atout: les Conventions collectives de travail (CCT), qui sont en constante progression depuis quelques années. Ces accords paritaires présentent l’avantage de coller à la réalité du terrain en tenant compte des spécificités régionales et de branche. En Suisse, la pratique conventionnelle est intense: 1,7 million de salariés du privé (soit 49 pour cent) sont couvert par une CCT. Ces dernières sont au nombre de 602. Une grande majorité d’entre elles prévoient un salaire minimum.

Troisième trait distinctif: la législation sur le travail réduite à la portion congrue. Le partenariat social donne de meilleurs résultats que n’importe quelle loi, telle est la conviction profonde de l’homo helveticus. Conséquence: notre loi sur le travail et ses 67 articles apparaît bien maigrichonne face au Code du travail français et ses 2000 pages. Cette base légale fédérale s’accompagne de règles minimales en matière de fixation des salaires et de licenciement.

La Suisse apparaît comme le miroir inversé de la France. D’un côté, un pays qui ignore les grèves sauvages et où le plein emploi rime avec salaire décent. De l’autre, un pays où le conflit est permanent, le chômage endémique et le compromis sacrilège. Même si comparaison n’est pas raison, la France gagnerait à s’inspirer du modèle participatif helvétique, où l’Etat joue un rôle subsidiaire. A l’inverse, si elle veut éviter les dérives du tout Etat à la française, la Suisse doit tenir mordicus à son modèle social en préservant la flexibilité du marché du travail.