Circonspection requise dans la régulation de l’immigration

12 juillet 2016 Opinions
Par Simon Wey

Depuis l’adoption de l’initiative sur l’immigration de masse, le monde politique réfléchit à un mode d’application qui permette de réduire l’immigration sans toucher à l’accord de libre circulation, ipso facto aux Accords bilatéraux I, tout en assurant aux entreprises de notre pays l’apport de personnel étranger dont elles ont besoin. Dans ce débat, le rapport d’Observatoire publié récemment par le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) fournit de solides points de repère à l’appui d’une politique suisse d’immigration durable. Ses constats confirment une fois de plus la grande capacité d’absorption du marché du travail à l’égard des travailleurs migrants, et toute l’importance qu’ont ceux-ci pour l’économie suisse. Deux raisons pour lesquelles nous mettons dès lors en garde contre un renversement brutal du très efficace régime actuel. Le contrarier par des mesures trop draconiennes pourrait nous valoir un douloureux réveil. Efforçons-nous plutôt de traiter sûrement et de manière crédible les effets secondaires de l’immigration à l’intérieur comme à l’extérieur du marché du travail.

Les chiffres présentés par le Seco sont catégoriques: les immigrants ont un niveau de qualification supérieur à la moyenne; le marché du travail les absorbe très largement et selon les lois naturelles du développement économique. Si ces paramètres helvétiques viennent à se modifier par rapport aux pays environnants, les forces de travail, pour la plupart très mobiles, iront vers d’autres cieux. Une autre confirmation importante apportée par le rapport du Seco concerne la complémentarité entre immigrants et main-d’œuvre autochtone: les travailleurs recrutés à l’étranger ne provoquent aucune éviction des travailleurs indigènes et contribuent même, au contraire, à stimuler la demande de ces derniers. C’est ce que met en évidence le taux d’occupation de la population active en Suisse, qui atteint en comparaison internationale un niveau record dont on ne trouve l’équivalent que dans certains pays nordiques.

Pour les entreprises, un potentiel de main-d’œuvre important est celui des ressortissants des pays tiers, pour lesquels le Conseil fédéral attribue chaque année des contingents limités. Venant de ces régions, seuls sont admis chez nous des spécialistes dont on peut prouver qu’aucun actif indigène n’a été trouvé pour effectuer leur travail. Dans le cadre de la mise en œuvre de l’initiative sur l’immigration de masse, la possibilité d’agir sur ces contingents extérieurs, qui échappent à l’accord de libre circulation avec l’UE, suscite précisément de l’intérêt. Mais cette orientation est risquée dans la mesure où une réduction inconsidérée des contingents de pays tiers aurait pour de grandes entreprises comme Google, IBM ou Microsoft, mais aussi pour le secteur pharmaceutique et d’autres branches encore, des répercussions fâcheuses. Entre sociétés mères et filiales, ces entreprises ont absolument besoin, en effet, d’une collaboration transfrontalière qui implique notamment une mobilité sans restriction de leurs collaborateurs. Si des obstacles supplémentaires leur sont opposés, la réalisation de projets internationaux peut être compromise, ce qui risque de mettre en danger des emplois en Suisse. Une telle politique affaiblirait l’attractivité de la place économique suisse.

Par ailleurs, le rapport de l’Observatoire contredit aussi l’affirmation sans cesse reprise selon laquelle les prestations des deux assurances sociales AVS et AI seraient sollicitées à l’excès par les immigrés. Pour l’AVS, au contraire, on observe que l’immigration, composée d’une proportion de jeunes supérieure à la moyenne, améliore sensiblement le rapport entre actifs et rentiers. Ces immigrants sont des contributeurs nets qui participent dans des proportions supérieures à la moyenne au financement des deux assurances sociales.

 

Le monde politique suisse a tout intérêt à préserver l’actuel système performant de l’immigration axé sur le personnel qualifié.

Les entreprises de notre pays connaissent des temps troublés, avec de nombreux sujets d’incertitude comme le franc fort, la fragilité du climat économique mondial et les difficultés de la politique d’immigration, pour ne citer que ces exemples. L’acceptation de l’initiative sur l’immigration de masse oblige  le personnel politique suisse à définir des mesures adéquates capables de réduire d’une manière générale le flux d’immigrants en Suisse. La contribution du marché du travail à cet effort de réduction consiste principalement à mettre davantage en valeur le potentiel de travail des autochtones et à lutter contre les réactions de rejet sommaires, régionales et par catégories professionnelles que l’immigration suscite dans le pays. L’Union patronale suisse prêtera son concours à toute solution bien conçue, ciblée et efficace.

Le monde politique suisse a tout intérêt à préserver l’actuel système performant de l’immigration axé sur le personnel qualifié et fera bien d’éviter, au titre de la mise en œuvre de l’immigration de masse, de prendre des mesures susceptibles de mettre encore plus de sable dans les rouages des entre-prises.